vendredi 24 octobre 2014

Albert Londres, Pierre Drieu La Rochelle, Jean Giraudoux, ces hommes de lettres qui connurent les Dardanelles... 




La période des prix littéraires approchant, le blog met à l'honneur ce mois-ci des auteurs... mais des auteurs qui ont pour point commun d'avoir vécu la bataille des Dardanelles. Que ce soit en tant que combattant ou reporter, qu'ils y'aient passé plusieurs mois ou seulement quelques semaines, tous ont été durablement marqués par cette expérience. Tour d'horizon de ces écrivains qui parcoururent les tranchées de Gallipoli...  
   

Albert Londres en 1923
(Wikimedia Commons - Niduab)
Albert Londres (1884-1932) - Réformé lors du service militaire, Albert Londres n'est pas mobilisé en 1914 et c'est en tant que reporter pour le compte du Petit Journal qu'il s'est rendu aux Dardanelles. A cette occasion, il est devenu l'un des précurseurs d'un métier encore nouveau, celui de correspondant de guerre. La présence de journalistes sur la péninsule est évoquée dans le troisième chapitre de mon roman, mais nous reviendrons sur celui-ci lors du prochain post dans un mois... Albert Londres couvrira plus tard le front des Balkans en suivant les opérations situées en Grèce, en Serbie ou en Albanie. Cette expérience de journaliste de guerre sera déterminante pour sa carrière. Avant la guerre, il se consacrait essentiellement à la poésie et occupait une fonction de journaliste parlementaire qu'il concevait comme un métier purement alimentaire. Il publia plusieurs recueils de poésies, d'une facture assez classique, mais c'est bel et bien la guerre qui le dirigea définitivement vers le journalisme de terrain.  Il s'est fait connaître au tout début de la guerre par un article très remarqué sur le bombardement de la cathédrale de Reims par les Allemands paru dans Le Matin. Mais il dût rompre quelque mois après sa collaboration avec ce quotidien qui refusait son départ pour les Dardanelles, il fit donc le voyage pour Le Petit Journal. Son style est nouveau, éloquent et doté d'une liberté de ton et de réflexion qui plaît beaucoup aux lecteurs mais nettement moins aux militaires. Les hauts gradés le jugeant insolent et difficilement contrôlable. Mais son succès le protège et les autorités militaires sont contraintes de composer avec lui.  De son passage aux Dardanelles, il tirera plusieurs articles qui témoigneront avec talent de ce qu'il a pu y observer et ressentir. 

Une du "Petit Journal" daté du 26 mai 1915 relayant le premier article d'Albert Londres aux Dardanelles,
lequel aborde le débarquement français du 25 avril sur la rive asiatique du détroit 
(Gallica.bnf.fr - Bibliothèque Nationale de France)


De retour d'Orient, il couvrira la fin de la guerre en France, puis connaîtra une carrière fulgurante dans les années 20, multipliant, pour plusieurs journaux, les voyages et les grands reportages (Italie, Moyen Orient, Russie, Asie, Guyane, Algérie, Afrique Noire...) avant de trouver tragiquement la mort, en 1932, dans l'incendie du paquebot Georges Philippar qui le ramenait de Chine. L'année suivante, sa fille créera le prix qui porte son nom et qui récompense chaque année le meilleur reportage. Comme un symbole, le dernier grand reportage d'Albert Londres publié, en 1931, dans le Petit Journal, concernait les Balkans, la région qui lui permit de se faire un nom pendant la guerre, un vrai tournant dans sa carrière. L'article traitait des Comitadjis, ces nationalistes macédoniens qui tentaient de lutter contre l'occupation de leur territoire par les Bulgares, les Grecs et les Yougoslaves... on parle des Comitadjis également à la fin de mon roman, mais je n'en révélerai pas plus, vous le découvrirez en le lisant...   

Jean Giraudoux en 1927
(Wikimedia Commons - Gampe)

Jean Giraudoux (1882-1934) - Contrairement à Albert Londres, c'est en tant que combattant que Jean Giraudoux se rendit aux Dardanelles. Affecté en septembre 1914 au 298e RI, au rang de sergent, le futur auteur de "La Folle de Chaillot" est blessé à la bataille de la Marne. Sa courte convalescence achevée, et ayant été promu sous-lieutenant entre temps, il fait partie de l'expédition des Dardanelles. Il y sera de nouveau blessé, quelques semaines après son arrivée sur la péninsule. Evacué, il effectue sa convalescence en France où, désormais inapte au combat, il sera réaffecté au bureau de la propagande du ministère des Affaires étrangères. Il participera à des opérations diplomatico-militaires à Lisbonne en 1916 ou aux Etats-Unis en 1917. Après la guerre, il orienta sa carrière vers le théâtre où il connut le plus de succès, alors qu'il s'était plutôt consacré à l'écriture de romans avant et pendant le conflit (Provinciales en 1909, L'Ecole des Indifférents en 1911, Lectures pour une ombre en 1917 ou ou Simon le pathétique en 1918 notamment) en parallèle d'une carrière de diplomate.  C'est en revenant en Turquie, en 1927, douze ans après son passage aux Dardanelles, pour y occuper un poste à la Commission d'évaluation des dommages alliés dans ce pays, que Giraudoux profite de son temps libre pour écrire ses premières pièces de théâtre. Il connaît son premier succès en 1928 avec Siegfried, une pièce adaptée d'un de ses romans qu'il publia en 1921 : Siegfried et le Limousin, avec pour interprète principal Louis Jouvet. Le premier d'une longue série de succès (Amphytrion 38, La guerre de Troie n'aura pas lieu, Electre, La Folle de Chaillot...), à tel point qu'on se souvient aujourd'hui de lui davantage pour ses pièces que pour ses romans. Il s'engagea en politique à la fin des années 30, et fut ainsi Commissaire général à l'Information en 1939-1940 dans le gouvernement Daladier. Durant l'Occupation sa situation et son rôle furent controversés mais il mourut bien avant la Libération en janvier 1944 d'une inflammation du Pancréas.

Pierre Drieu La Rochelle (1893-1945) - Comme Giraudoux, Pierre Drieu La Rochelle est présent aux Dardanelles pour combattre, mais lui n'est pas officier. Âgé de 22 ans, il est sergent au 176e RI, un régiment dont je parle régulièrement au début du roman et qui appartient à la même division que le 2e RMA, ce régiment de zouaves dans lequel évolue la plupart de mes personnages. Ces deux régiments interviennent donc souvent mutuellement en appui. Drieu La Rochelle a commencé la guerre en Belgique, en tant que caporal dans le 5e RI et a connu ses premiers combats lors de la bataille des frontières dans la plaine de Charleroi, en août 1914 . Blessé à la tête par un shrapnel (bille d'acier contenue dans un obus), il est évacué vers un hôpital militaire de Deauville. Il retourne au front dès octobre 1914, en Champagne, il y est de nouveau blessé, au bras cette fois et est évacué à Toulouse. A la fin de sa convalescence, il se porte volontaire pour l'expédition des  Dardanelles et rejoint ainsi le 176e RI. Il embarque avec ce régiment de Marseille début mai 1915. Il passera 5 semaines sur l'île de Lemnos, où les alliés avaient installé leur base arrière pour la campagne des Dardanelles.  

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Débarquement de troupes françaises sur l'île de Lemnos au printemps 1915
(Wikimedia Commons - Bibliothèque Nationale de France)
Les conditions de vie y sont dures. Drieu en gardera un souvenir amer dans la nouvelle "Voyages aux Dardanelles" qu'il publia en 1934 : "Être pauvre, c'est être sale. J'ai des morpions que ma crasse engraisse. J'ai pioché et j'ai des ampoules. Mes muscles me font mal. J'ai soif tout le temps. Tondu et barbu, je suis laid. Je ne reçois pas de lettres. Je mourrai totalement oublié...". Fin juin 1915, son unité quitte enfin Lemnos pour la presqu'île de Gallipoli afin d'y relever les troupes. Son régiment participe aux combats du Kérévès-Déré au cours du mois de juillet, mais Drieu ne fait pas partie des combattants. Atteint par la dysenterie, il est évacué avant les premiers assauts et est rapatrié vers Toulon. Il restera néanmoins durablement marqué par son expérience aux Dardanelles, d'autant que son séjour en Orient l'aura laissé dans un état de délabrement moral et physique avancé. Sa convalescence dura tout l'automne 1915. Il passera ensuite au 146e RI, dans lequel il vivra la bataille de Verdun et sera grièvement blessé en février 1916. Au terme de sa convalescence, il sera affecté à des postes plus à l'arrière. 

L'expérience de la Grande Guerre sera marquante pour Drieu, puisque nombre de ses écrits en seront imprégnés (Fond de cantine en 1920, la Comédie de Charleroi en 1934 notamment, ce dernier ouvrage étant un recueil de plusieurs nouvelles évoquant ses souenirs de la Grande Guerre dont "Le Voyage aux Dardanelles"). Comme Giraudoux, Drieu verra sa carrière littéraire décoller durant l'entre-deux-guerres, à travers des succès comme Le Feu Follet (1931), Rêveuse Bourgeoisie (1937) ou Gilles (1939). Dans le même temps, il se cherche politiquement jusqu'au milieu des années 30, oscillant entre socialisme et fascisme ou nationalisme. Il publiera  d'ailleurs en octobre 1934 un essai intitulé "Socialisme fasciste" qui synthétise et stabilise la ligne qui sera la sienne jusqu'à l'Occupation, pendant laquelle il deviendra directeur de la NRF. Bien que désabusé par le régime vichyste, il ne reniera pas ses idées à la Libération et préférera le suicide plutôt que la fuite ou l'exil. Après deux tentatives en août 44, il parvint à ses fins le 15 mars 1945 en absorbant une forte dose de gardénal. 

En étudiant la biographie de Drieu La Rochelle, pour préparer cet article, j'ai été frappé de découvrir le nombre de points communs et de ressemblances qu'il a avec Pierre Lacourt, l'un des principaux personnages de mon roman...   Outre leur présence aux Dardanelles et leur prénom, ils partagent le fait d'avoir le même âge puisque les deux y ont vingt-deux ans pour être nés chacun en janvier 1893 (je ne précise pas le mois de naissance dans mon roman, mais dans mon esprit il était bien né début 1893, en janvier...). Le père de Drieu était avocat, celui de mon Lacourt est magistrat et originaire de La Rochelle, mais s'est établit à Toulouse... sachant que Drieu La Rochelle, avant de se rendre aux Dardanelles, effectua sa convalescence à Toulouse... les similitudes entre les deux sont troublantes, mais il est probable que mon Pierre Lacourt n'aurait pas suivi les mêmes penchants vichystes que Drieu s'il avait connu l'Occupation...     


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Winston Churchill en 1904 (Wikimedia Commons - Imperial War Museums)
Sir Winston Churchill (1874-1965) - Je ne pourrais bien-sûr pas conclure ce post sans évoquer l'homme de lettres qui est directement à l'origine de l'expédition des Dardanelles, puisqu'il en est le principal instigateur. Âgé de 41 ans, Winston Churchill est alors Premier Lord de l'Amirauté et est l'initiateur de cette désastreuse campagne. Prix Nobel de Littérature en 1953, pour ses mémoires, Churchill dût en effet personnellement assumer l'échec cuisant de Gallipoli en quittant ses fonctions. Cet épisode occasionna l'une des pires périodes de dépression de son existence - pourtant riche dans ce domaine - et le revers le plus éprouvant de sa carrière. Sans avoir été lui même sur le terrain, Churchill fût donc, d'une certaine manière, irrémédiablement marqué par l'aventure de Gallipoli.






Le mois prochain, le blog reprendra le cours du deuxième tome en se concentrant sur le troisième chapitre qui dresse un véritable panorama des forces en présence aux Dardanelles. 

A bientôt.

Olivier.    










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