dimanche 11 décembre 2016




Rendez-vous à Salonique pour la Noël... 1915 !  




Un post de saison pour conclure l'année sur le blog des "Icônes de Sang" puisque ce nouveau billet revient sur un chapitre du deuxième tome qui se situe le jour de Noël ! On y retrouve le capitaine Saudal qui profite de cette occasion particulière pour découvrir plus en détail la ville de Salonique. Il cantonne a proximité depuis plusieurs semaines, en ce mois de décembre 1915, mais il n'a jusqu'alors jamais eu l'opportunité de vraiment parcourir la ville. Suivons-le, il va y vivre une expérience très étrange...

Ce chapitre, intitulé "Un Noël à Salonique", démarre le 24 décembre 1915 et nous projette aux côtés du capitaine Saudal. Son régiment, comme le reste des troupes alliées, s'est replié dans la région de Salonique suite à la désastreuse campagne de Serbie de l'automne. Il est basé dans le camp de Zeitenlik, au nord-ouest de la ville, lequel a été récemment installé dans une zone inhabitée, sans arbres, bosselée et assez marécageuse... 
Réfugiés serbes dans l'étendue du camp de Zeitenlik en décembre 1915,
photo tirée du journal Le Miroir (Wikimedia Commons)


Saudal, en cette veille de Noël, quitte cet improbable camp - qui deviendra le principal QG allié d'Orient jusqu'à la fin de la guerre - en fin de journée en compagnie d'autres officiers français. Ils se rendent à Salonique afin d'assister à la messe de minuit au sein de l'église franque de la ville. Le capitaine se rend ainsi dans la vieille ville pour la cérémonie religieuse. 

Après l'office, le froid et l'ambiance un peu morne de la ville le pousse à rentrer au camp, mais il se promet de revenir le lendemain pour visiter la cité en profitant de la journée. Il rentre ainsi à Zeitenlik et passe le reste de la soirée de Noël en compagnie de ses hommes.  Tard dans la nuit, il finit par regagner sa tente pour se coucher. Avant de se mettre au lit, il s'adonne à son rituel habituel : celui de prendre le temps d'observer ses icônes byzantines qu'il possède depuis maintenant plus de cinq mois et qui l'obsèdent toujours autant... 
Groupe de soldats de l'Entente reflétant la diversité des troupes présentes à Salonique :
indochinois, français, sénégalais, britannique, russe, serbe, italien, grec, indien...
(Wikimedia Commons - MaiDireLollo)

Le lendemain, après le repas de Noël au mess, Saudal retourne à Salonique. Il y va non accompagné, en quête d'un peu de solitude. Après avoir traversé les faubourgs situés au nord-ouest de la ville, l'officier pénètre dans la cité ancienne. A la faveur du jour, il y découvre une ville plus animée que la veille au soir et une architecture variée, avec notamment les nombreuses mosquées transformées en églises pour la plupart depuis la fin de la domination ottomane en 1912. Il découvre surtout le caractère très cosmopolite de la population occupant la cité. Outre les militaires des différentes troupes représentées (Britanniques, Français, Sénégalais, Maghrébins, Serbes ou Grecs notamment), Saudal remarque que les Saloniciens sont répartis en différentes communautés : Grecs, Slaves, Juifs, Arméniens auxquels s'ajoutent de nombreux réfugiés ayant fui les zones de combat en Macédoine ou ayant, pour quelques Arméniens en petit nombre, réussi à échapper, après un long périple hasardeux, aux massacres perpétrés contre eux en Anatolie depuis le mois d'avril. Cette variété témoigne de la riche histoire de la ville autant que du caractère universel et international pris par cette guerre. 
Rue principale de Salonique en 1916 (Wikimedia Commons - H Charles Woods)
Vue générale de l'Heptapyrgion prise depuis le sud-est en février 2003
(Wikimedia Commons - Marsyas)

Après avoir visité le coeur de la ville, le capitaine se rend sur les hauteurs. En particulier aux pieds de l'Heptapyrgion, un vieux fort qui domine la ville, au nord-est, depuis des siècles et qui sert alors de prison. Une fois parvenu jusque-là, il s'y arrête un moment pour profiter du panorama en se grillant une cigarette. Il admire longuement la rade de la ville et aperçoit les innombrables navires alliés qui occupent le Golfe Thermaïque et qui viennent approvisionner sans cesse les troupes réunies dans la région. Le temps est gris et les nuages empêchent de voir le détail des côtes plus au sud et notamment le Mont Olympe. 
Vue de l'église Aghios Nikolaos Orphanos,
prise en 2007 (Wikimedia Commons - Buchhändler)

Une fois lassé de ce paysage, il regagne la ville basse par la partie orientale de la cité en empruntant à cette occasion des ruelles en pente, sinueuses et étroites. Il passe ainsi à proximité de quelques églises, comme celle de Saint Nikolaos Orphanos du début du XIVe siècle, ou de quelques monuments, comme la Rotonde Saint-Georges ou l'Arc de Galère, ainsi que des principales basiliques de la ville comme celles de Sainte Sophie et de Saint Démétrius. 

Vue arrière de la Basilique Sainte-Sophie de Thessalonique prise en 2007 

(Wikimedia Commons - Geraki) 

Déchargement d'une pièce d'artillerie britannique
de plusieurs tonnes au port de Salonique en avril 1916
(Wikimedia Commons - Tirée de "Lecture pour Tous" du 15 juillet 1916)
Il finit par arriver sur les quais du port, où il observe les déchargements incessants de vivres et de matériels divers. Tout est orchestré en un ballet incroyable de manoeuvres et de débarquements spectaculaires. Il se pose notamment devant le levage d'impressionnantes pièces d'artillerie que l'on sort des entrailles d'un navire qui vient d'accoster. 

Portrait du Sultan Bayezid II (1447-1512)
(Wikimedia Commons - Belli Degil)

Quittant cette scène, Saudal retourne ensuite dans la ville et s'engouffre dans le quartier jouxtant le port. Une partie de ce quartier est essentiellement habitée par la communauté juive de la ville. Saudal y entend parler un dialecte à consonance espagnole. La plus grande partie de la population juive de la ville est en effet issue des Juifs d'Espagne expulsés en 1492 par les inquisiteurs de la Reconquista et qui furent accueillis par le sultan Bayezid II leur offrant asile dans l'empire, en particulier à Salonique. 

Les ruelles de ce quartier rappelent l'atmosphère de Grenade ou de Cordoue, mais cette impression s'estompe très vite pour Saudal... Passant près de la porte d'un immeuble ancien, il est soudainement saisi de profonds vertiges... et des voix d'inconnus, dans sa tête, l'appellent et il entend également des chants. Ceux-ci sont semblables à ceux qu'il entend lors de ses cauchemars à répétition. Ce sont des voix monastiques byzantines. Elles lui parvenaient désormais même le jour !
Vue de la Tour Blanche de Thessalonique
prise en juillet 2009
(Wikimedia Commons - Alexander Klink)

Paniqué, il prend sa tête entre les mains pour se boucher les oreilles, mais sans effet... Les voix continuent à se faire entendre. Il s'enfuit en criant, étonnant les passants, et revient jusqu'au port où les voix progressivement disparaissent. Sonné par cette mésaventure, il met un moment à retrouver ses esprits. Le moral miné, il erre alors un instant sur les quais, descendant sur le front de mer en direction de la Tour Blanche, vestige de ce qui fut jadis l'enceinte ottomane de la ville. L'air marin l'aiderait à se calmer se dit-il, mais il n'arrête bien-sûr pas de penser à ce qu'il venait de vivre. 

Il songe un moment à se débarrasser de ses icônes - il sent bien qu'il y a un rapport entre ces événements et celles-ci - en les vendant au plus vite à des trafiquants locaux ou à un officier britannique par exemple, mais il revient finalement à son idée première : celle de les ramener en France et de les revendre avec l'aide de son frère, marchand d'art véreux sévissant à Paris. Solution qu'il estime plus profitable financièrement... C'est sur cette cupide résolution que se terminent ce post et ce chapitre.

A bientôt et joyeux Noël...

Olivier.