samedi 20 juillet 2013


Une retraite philosophique en pleine nature en compagnie de Frère Georges et d'Anthémios ! (1/2)

Pour ce post estival, juste avant les vacances, le blog reprend son cours avec le huitième chapitre qui voit Anthémios poursuivre sa confession et Justin l'interroger sur sa formation et les cours qu'il a suivi au monastère. Le vieillard va lui raconter ses cours de chant et de peinture, mais il va surtout s'attarder sur une conversation philosophique qu'il eut avec Georges lors d'une retraite en pleine nature...


Anthémios évoque ses cours d'iconographie avec Justin, mais il élude assez vite le sujet, expliquant qu'il n'était pas doué pour la peinture. Il profite néanmoins de l'occasion pour rapporter à son confesseur que Georges lui révéla, après le dernier de cours de peinture que suivit Anthémios, qu'il n'avait pas de bonnes relations avec Manuel, le peintre. Leur différend remontant à la dernière élection pour la charge d'higoumène du monastère, Georges préférant apporter son soutien à Anastase plutôt qu'à Manuel, tous deux rivaux lors de cette élection. Anthémios comprend mieux ainsi la tension qu'il avait décelé entre les deux hommes et apprend ainsi que dans la tradition du monastère on procède à une élection lorsque vient le moment de nommer un successeur à l'higoumène décédé. Ce qui n'est pas le cas dans tous les monastères, notamment les établissements impériaux ou familiaux qui procèdent par décret ou succession préalablement désignée.

Anthémios s'attarde davantage sur ses cours de chant, un art pour lequel il est beaucoup plus doué. Il lui raconte comment, au contact de Frère Démétrios, il s'est découvert ce talent, comment il a pris confiance en lui et comment il a su corriger ses erreurs et ses hésitations. Justin découvre ainsi que c'est lors de ces cours qu'Anthémios a acquis les bases du chant. Il comprend mieux la maîtrise qu'il lui connait aujourd'hui dans ses vieux jours.  Anthémios lui précise que c'est Frère Démétrios qui lui a appris à interpréter les neumes, c'est à dire les annotations qui se situent au dessus du texte des chants sacrés médiévaux, pour accentuer musicalement les syllabes.

Icône représentant Athanase d'Alexandrie
(Wikipedia Commons / Benutzer Irmgard)
Anthémios enchaîne ensuite avec les cours que Georges lui enseignait lui-même : Saintes Ecritures, Philosophie, Poésie, Histoire, Géographie, Théologie ou Hagiographie... Dans cette dernière matière, consacrée à la vie des saints, il se souvient avoir étudier la "Vie de saint Antoine" par Athanase d'Alexandrie (298-373). 

Mais c'est à la vie de Basile de Césarée que la plupart de ces cours étaient dédiés. Anthémios apprit d'ailleurs durant ces cours les règles basiliennes, toutes en vigueur dans le monastère : 55 grandes règles et 313 petites règles... pas moins...
Miniature du XVème siècle représentant Basile de Césarée
tenant en main un parchemin énumérant ses règles, Mont Athos
(Wikipedia Commons / Origenes)

Justin en vient ensuite à l'interroger sur le goût de Georges pour les retraites et la contemplation, et si Anthémios avait lui-même eu l'opportunité d'en expérimenter une. Anthémios lui confirme qu'il en a effectué une, aux côtés de Georges, rapidement, à peine un mois après son arrivée au monastère. Elle eut lieu dans un site isolé, en pleine nature, non loin du monastère. Ils prirent place sur une plateforme rocheuse, à l'abri d'un arbre. De là il dominaient l'Hellespont et pouvaient observer la rive asiatique en face d'eux, ainsi que le Cap Hellès. La vue était magnifique et l'endroit calme. Idéal pour le recueillement et propice à la contemplation. Georges fait longtemps silence et Anthémios savoure ce long moment de quiétude à l'air libre après être resté enfermé dans la clôture du monastère pendant plus d'un mois. 

Georges finit par le questionner en lui demandant ce qu'il avait éprouvé durant cet instant de recueillement. Anthémios lui parle alors du bien être qu'il a ressenti, son plaisir à reprendre contact avec la nature. Georges veut creuser le sujet avec son élève et lui pose habilement des questions toujours plus précises qui amènent Anthémios à admettre que ce qu'il a ressenti était proche d'une communion avec la création. Il admet comme avoir ressenti ce qu'il y avait de divin en lui. Georges lui fait ainsi comprendre ce que la contemplation pouvait lui apporter dans sa démarche mystique : elle l'a rapproché de la sagesse divine.

Buste de Cicéron par Bertel Thorvaldsen,
Musée Thorvaldsen, Copenhague
(Wikipedia Commons / G Bach Pedersen)
S'appuyant sur la définition de la sagesse selon Cicéron, son maître lui conseille également de ne pas négliger les choses humaines qui font aussi partie de la sagesse, comme les choses divines.

Il ne lui cache pas que l'acquisition de cette sagesse humaine est difficile. Pour illustrer cette difficulté et la nature de cette sagesse, il prend pour exemple la mer, qu'ils peuvent admirer de là où ils se trouvent, et lui demande d'imaginer que celle-ci est composée d'une infinité de gouttes d'eau. Si chaque goutte d'eau représente une idée humaine, on se retrouve face à un océan d'idées produites par l'homme. Mais parmi ces gouttes très peu nombreuses sont celles porteuses de sagesse. Elles suffiraient tout juste à remplir un ustensile quelconque, Georges prend l'exemple d'un canthare (d'où le titre de ce chapitre "un canthare à remplir"), qui désignait à l'époque byzantine une cruche au col allongé. Les autres gouttes, ultra majoritaires, ne sont que des idées ineptes ou néfastes.

Saint Augustin par Philippe de Champaigne,
huile sur toile, 1645-1650, LACMA
(Wikipedia Commons)
Georges lui fait ainsi comprendre que la sagesse humaine, dans ce flot d'idées, est difficile à localiser et à distinguer. Il faut donc faire l'effort et avoir l'humilité de la chercher  partout où elle peut être : ne pas chercher les gouttes que sur le premier rivage venu mais parcourir les mers pour les trouver sur d'autres rivages, quitte à les chercher auprès d'autres cultures, d'autres traditions, civilisations ou religions. Il cite saint Augustin à cette occasion pour exprimer magnifiquement cette idée : "Le monde est un livre, et ceux qui ne voyagent pas n'en lisent qu'une page". 

Or, en tant que moine, Anthémios n'aura pas l'occasion de beaucoup voyager, ni de rencontrer beaucoup de monde, il le pousse donc à trouver cette sagesse dans les livres, vers une boulimie de livres qui nourrira ses connaissances et sa culture et lui permettra plus tard de distinguer par lui même ce qui relève de la sagesse ou de l'erreur.

Nous poursuivrons cette retraite philosophique en pleine nature lors du prochain post.
Nous verrons comment Georges aidera Anthémios à remplir son canthare en évoquant Socrate et Platon...

En attendant, je vous souhaite à tou(te)s d'excellentes vacances et un bon été !

A très bientôt.

Olivier.