jeudi 20 mai 2021

 


Parcourez le Toulon de 1918 aux côtés du commandant Saudal !





Rapatrié à Toulon en mars 1918, après sa grave blessure aux jambes, en Macédoine, le commandant Saudal y est hospitalisé et y vit sa convalescence jusqu'à la fin juin. Avant de regagner le Front d'Orient durant l'été, il bénéficie d'une permission lui permettant de rendre visite à sa famille en Bourgogne et à Paris. Nous le suivons ici de l'hôpital de la Marine, boulevard Sainte-Anne, jusqu'à la gare, faisant un détour au passage par la chambre d'une prostituée...       

Le vingt-troisième chapitre, intitulé "Repos et plaisirs toulonnais", est un chapitre de transition se situant fin juin 1918, lors de la sortie du commandant Saudal après trois mois d'hospitalisation à Toulon.

Photographie prise devant la grille d'entrée de l'Hôpital de la Marine
(ou maritime) à Toulon, carte postale des années 1910
(Wikimedia Commons - Dvt83800)
C'est à l'hôpital de la Marine, situé boulevard Saint-Anne, qu'il a été pris en charge. Aujourd'hui, cet établissement, toujours situé au même endroit, dans le Bas Faron, est connu sous la désignation d'Hôpital d'Instruction des Armées de Sainte-Anne (HIA Sainte-Anne). Fondée en 1910, l'institution est encore récente lorsque Saudal y séjourne et elle offre l'un des meilleurs niveaux de qualité de services pour l'époque. 
Vue de l'hôpital de nos jours (Wikimedia Commons - Dvt83800)


Il retrouve petit à petit le plein usage de ses jambes, passant par plusieurs étapes, du fauteuil roulant, aux béquilles puis à une simple canne, avant de marcher enfin normalement. Soumis à une commission sanitaire dont le rapport est favorable, il est déclaré apte à reprendre du service et quitte l'établissement le jour-même mais bénéficie d'une permission. Il compte en profiter pour rendre visite à ses parents dans l'Yonne, puis à son frère à Paris. 


Quittant l'hôpital, il prend la direction de la gare, située quelques centaines de mètres plus bas, en descendant vers le centre-ville et le port. Il se fait au préalable indiquer le bureau de poste le plus proche dans le but de faire parvenir un télégramme à ses parents, afin de les alerter de son arrivée prochaine. 
Affiche de promotion réalisée par l'artiste Auguste Leroux (1871-1954) 
pour le 3e emprunt de la Défense nationale, lancé en octobre 1917














Il redécouvre brièvement à cette occasion la vie civile en observant les rues, l'animation ou l'ambiance qui y règne en temps de guerre. De prime abord rien de spécial ne lui saute aux yeux, mais il constate rapidement qu'il croise peu d'hommes, hormis des vieillards ou des gamins. Il y a une prédominance féminine, bien que la présence de militaires soit forte dans cette ville avec son port et son arsenal. Des affiches encourageant à la souscription nationale autour d'un emprunt pour la Défense nationale sont présentes sur les murs, il prend conscience que c'est tout le pays qui est impliqué, pas seulement les hommes présents sur le front... Il faut dire qu'il n'avait plus mis les pieds sur le territoire national depuis 1914 et le pays lui semble avoir bien changé en quatre ans...




La cour de la gare de Toulon, en 1906, carte postale Ed° Clavel
(Wikimedia Commons - Claude Villetaneuse)
Avant de rejoindre la gare, il se fait alpaguer par une prostituée qui se fait appeler Mauricette. Il ne décline pas la sollicitation, bien au contraire, et la suit jusque dans une chambre d'un hôtel miteux des environs. Il y fait rapidement ce qu'il a à y faire, puis, soulagé, se rend à la gare et grimpe dans le premier train se dirigeant en direction de Marseille. Son trajet le conduira au final jusqu'en Bourgogne, chez ses parents. Il 
aura l'occasion de revoir son frère et lui parlera des icônes qu'il a ramené des Dardanelles, mais ce sera l'objet du prochain chapitre et du prochain post...

A bientôt.

Olivier.

mercredi 25 novembre 2020

 


Quand le commandant Saudal, dans les montagnes, hallucinait...





Avec ce titre en forme de clin d'œil à l'œuvre d'Howard P. Lovecraft, je vous invite à retrouver le commandant Saudal dans les montagnes de Macédoine, aux confins de l'Albanie, en mars 1918. Il va y vivre une terrifiante expérience hallucinatoire. Sous ses yeux se forme en effet une créature faite de neige, de boue, de glace et de roche ! C'est un véritable golem qui lui apparaît alors et qui se met à le charger, prêt à l'attaquer. Saudal doit fuir pour lui échapper, mais les choses tournent mal...       

Ce vingt-deuxième chapitre, intitulé "Des pentes macédoniennes aux côtes métropolitaines", débute par un rapide résumé des événements sur le front à l'automne 1917. Une période relativement calme sur le Front d'Orient, en dehors d'opérations dans la région de Pogradec, autour des lacs de Prespa et d'Ohrid. Mais l'événement majeur survient plus tard, le 3 mars 1918, avec la paix séparée signée à Brest-Litovsk entre la Russie, devenue récemment bolchévique, et les Allemands et leurs alliés. Une bien mauvaise nouvelle pour les Français et les Britanniques, qui annonce de prochains renforts allemands sur les fronts de France et d'Orient.

En ce qui concerne Saudal, après ses émotions vécues lors de l'incendie de Salonique, en août (voir le post précédent), il traverse sans encombre cette période, hormis quelques fièvres. On le retrouve dans le récit quelques mois plus tard, à la mi-mars 1918, alors que son régiment est stationné dans une région montagneuse, là où se rejoignent les frontières grecque, albanaise et serbe (aujourd'hui, ce serait celle de Macédoine du Nord, voir carte ci-dessous).
Carte topographique de la région des lacs de Prespa et d'Ohrid
(Wikimedia Commons - Filiep)



Depuis quelques temps, ses cauchemars se font de plus en plus insistants, et ce matin-là, il est particulièrement inquiet. Il sent que quelque chose doit arriver ce jour-là. A tel point qu'il éprouve le besoin de se rendre dans l'église d'un village voisin de son campement, afin de s'y recueillir et y retrouver la sérénité. Il n'est pourtant pas particulièrement croyant, au contraire, mais il n'y a guère que cela qui l'apaise un peu et le rassure. Outre ses angoisses, il doit aussi affronter une fébrilité paludique qui le reprend depuis quelques jours. Des séquelles syphilitiques alternent également son mental et son psychisme. Saudal est un homme usé par la guerre et par son état de santé. A trente-six ans, il en fait déjà bien cinquante.
Campement français sous la neige dans les montagnes macédoniennes
(Photographie tirée de L'Illustration du 25 décembre 1915)


En milieu de matinée, il est chargé de conduire son bataillon vers une position en haute montagne, en vue d'y relever les tirailleurs marocains qui y sont postés depuis trois jours. L'accès, en cette fin d'hiver, est difficile avec un temps très instable et le dégel qui s'amorce. Le début du périple se passe sans embûches, mais au bout d'une bonne heure de marche, Saudal sent la fièvre le rattraper et perd en lucidité. Il continue d'avancer dans la neige mais machinalement, sans se concentrer, l'esprit embrumé, au devant de son peloton. 

Il finit par lever les yeux vers les pentes qui dominent leur position. C'est alors qu'il voit se former sous ses yeux une créature humanoïde gigantesque, faite de neige, de blocs de glace, de boue, de branches ou de roches venus s'agréger. Cette espèce de golem dévale alors aussitôt la pente en hurlant et en se dirigeant vers Saudal, qui doit s'enfuir malgré son incrédulité et sa gaucherie fébrile. 
"Golem à peau de glace", illustration de Paul Scott Canavan (Copyright Wizards of the coast - Modern Horizons) 


Pataud et ahuri par la fièvre, il n'est pas très efficace dans sa fuite et a du mal à échapper au vrai danger qui le guette : celui d'une avalanche qui vient de se former et qui fond sur lui. Ses hommes lui crient de fuir au plus vite, mais l'officier est encore absorbé par son hallucination. Dans sa vaine tentative de fuite, il finit par réussir à échapper à la coulée de l'avalanche, mais tombe dans une ravine et fait une chute de près de quinze mètres. 

Transports de blessés à l'aide de mule, à Monastir, Macédoine, en novembre 1916
(carte postale, site enenvor.fr)
En voulant lui venir en aide et le récupérer, ses hommes découvrent qu'il est bien en vie mais qu'il est victime de graves blessures, avec fractures ouvertes au niveau des tibias. Il est évacué d'urgence vers l'arrière et est reconduit vers le campement, leur point de départ. Le transport, sur le dos d'une mule, est délicat et douloureux pour l'officier. 


Une fois arrivé au camp, il est conduit immédiatement à l'hôpital de campagne, où il est opéré. Après l'intervention, alors qu'il est groggy par la morphine et qu'il a les jambes bloquées par des attelles, on craint la gangrène, mais le risque semble vite écarté. 

Le lendemain, après de nouveaux examens, il est décidé de l'évacuer vers Salonique, où il sera pris en charge dans de meilleures structures. Conduit en camion jusqu'à la gare la plus proche, il est ensuite chargé dans un train sanitaire. Ses effets personnels, dont le chèche enserrant le coffret aux icônes, l'accompagnent.   

Une fois à Salonique, Saudal est dirigé vers un dispensaire tenu par des infirmières canadiennes. Mais cet établissement est vite saturé et il doit le quitter quelques jours plus tard pour être transféré vers un hôpital militaire français. Il y reste un peu plus d'une semaine, avant que ne soit finalement décidé l'évacuation du commandant vers Toulon. 

Il est ainsi conduit au port le lendemain et a l'occasion de découvrir la ville avec les traces encore très présentes du gigantesque incendie survenu un peu plus de sept mois auparavant. On le fait monter à bord d'un caboteur, avec quelques compagnons d'infortune, qui se dirige vers un navire-hôpital, lequel lui permettra de rejoindre la France.
Le Sphinx, navire-hôpital français, assurant des rotations entre Salonique et Toulon
durant la période 1915-1917 (carte postale de 1917)


Le navire appareille le lendemain matin et met cinq jours à rejoindre sa destination. Le voyage se passe sans encombre pour Saudal qui a enfin l'occasion de retrouver le sol de France. Il n'a plus eu en effet l'occasion de le fouler depuis 1914. Son infortune dans les montagnes macédoniennes lui offre ainsi une convalescence en France totalement inattendue. Mais ce sera le sujet du prochain chapitre et du prochain post...

A bientôt.

Olivier.                    

samedi 29 août 2020



Une apparition au cœur des flammes, dans l'incendie de Salonique d'août 1917 !





Ce nouvel article vous conduira aux côtés du commandant Saudal, en août 1917, en permission à Salonique, tout juste remis de sa convalescence et de son inquiétante séance de divination du chapitre précédent. Après un rêve prémonitoire, il se retrouve plongé au cœur du plus grand incendie du début du XXe siècle qui vient de se déclencher dans la ville. Tentant de sauver ses affaires et ses précieuses icônes, il voit un spectre faire son apparition dans sa chambre en flammes, lequel lui demande de détruire ces objets maudits...     

Contrarié par la séance de divination qu'il vient de vivre chez la voyante serbe, le commandant Saudal quitte le camp de Zeitenlick et se rend dans le centre ville de Salonique. Chemin faisant, il réfléchit sur le sort qu'il convient de réserver à ses icônes : les détruire pour échapper à la supposée malédiction qu'elles véhiculent ? Ou faire fi de tout ça et les conserver ? Dans le doute, ce sera la seconde option qu'il privilégiera. 

Famille juive de Salonique en 1917 (Wikimedia Commons - Elias Petropoulos) 

Arrivé en ville, il se cherche un hôtel. Il en trouve un dans les quartiers situés entre la vieille ville et les hauteurs. Il le choisit car on
 y parle français et anglais. Discutant avec le patron de l'hôtel, issu de la communauté juive de la ville et qui comprend le français, Saudal apprend que Salonique est régulièrement victime d'incendies, le dernier en date remontant à 1890. Pour s'en prémunir, les Juifs de la cité utilisent une prière spécifique lors de Yom Kippour. Saudal entend l'anecdote mais ne la relève pas vraiment, 1890 lui paraît loin. 


Il quitte ensuite l'hôtel et s'assoit à la terrasse d'un café afin d'y prendre un rafraîchissement, lire un peu la presse et discuter avec quelques officiers italiens. Plus tard, des officiers français le convient à dîner avec eux. Il accepte et les suit à la recherche d'un restaurant. Il finit par passer par la rue où se situe la maison devant laquelle il avait vécu d'étranges phénomènes, près de deux ans auparavant. Ceux-ci se manifestent aussitôt de nouveau. Des chants et des voix résonnent dans sa tête. Assailli, il tente de dissimuler sa gêne sans y parvenir. Se tenant la tête, puis se bouchant les oreilles, il presse le pas pour quitter les lieux au plus vite. Ses compagnons sont surpris mais n'osent rien lui demander. Le phénomène finit par se disperser et Saudal tente de se calmer en grillant une cigarette. 

La soirée se passe bien et après avoir quitté ses convives, il rentre à l'hôtel se coucher. Son sommeil est agité et guère serein. Il en vient à faire un rêve qui va s'avérer troublant. Il se voit déambuler dans Salonique, un soir, mais à une époque qui n'est pas la sienne. C'est en effet dans un décor médiéval qu'il évolue, à l'ère byzantine de la cité. Il marche jusqu'à la maison où il entend les voix monastiques lorsqu'il est éveillé. Cette demeure est bien différente de celle qu'il connaît. Elle est plus grande et plus prestigieuse que celle qui se trouve à son emplacement en 1917. Aucun chant ne se fait entendre et il pénètre à l'intérieur. 

Il y traverse plusieurs pièces, comme s'il connaissait très bien les lieux, et arrive jusqu'à une chambre. Il y trouve, couché dans le lit, un vieillard qui lui est parfaitement étranger. Saudal engage la conversation avec le vieux et lui demande son identité. L'alité lui réplique que son identité n'a guère d'importance et que s'il l'a fait venir dans sa demeure, telle qu'elle existait il y a plus de mille ans, c'est pour lui demander un service important. Il lui explique que dans sa jeunesse, il a été l'instigateur d'une malédiction qui frappe encore des innocents, onze siècles plus tard... Il lui apprend ensuite que cette malédiction peut être conjurée en détruisant les deux icônes et le coffret qui les renferme. Saudal doit donc les détruire. Mais ce que lui demande le vieillard est au dessus de ses forces. C'est un vrai crève-cœur pour lui que de s'en séparer ou de les détruire. Il s'y refuse donc malgré les arguments du vieil homme qui en sait beaucoup sur ce que ressent et vit Saudal depuis qu'il possède ces objets. Il s'entête à ne pas vouloir le faire. Il a beau savoir qu'il est condamné et qu'il pourrait sauver la vie des futures victimes de cette malédiction, rien n'y fait. Sur son insistance, le vieillard lui révèle son identité et lui apprend ainsi qu'il se prénomme Anthémios, le héros et narrateur du premier tome de la saga ! Le fait de connaître l'identité de son interlocuteur ne fait pas infléchir Saudal qui se refuse toujours à détruire les objets impliqués. 

Constatant qu'il n'obtiendra rien de lui, Anthémios décide alors d'agir par lui-même et lève la main vers la sacoche de l'officier qui contient le coffret aux icônes et celle-ci se met immédiatement à s'enflammer. Elle se consume à toute vitesse et Saudal, impuissant et fou de rage, la voit se détruire sous ses yeux. Son devoir accompli, Anthémios disparaît alors.

L'officier se réveille en sursaut et constate, à son grand soulagement, qu'il n'a fait qu'un horrible cauchemar. Il se lève et vérifie sa sacoche : tout est en ordre. Il peut se recoucher et essayer de se rendormir. Mais ce rêve, qui lui confirme la prédiction de la voyante, ne peut que l'angoisser.

Le lendemain matin, il se réveille tard et demeure inquiet. Il se rend près des quais pour prendre un café et fumer sur une terrasse, avant d'aller déjeuner dans un restaurant à poissons. Il gagne ensuite les petites rues de la vieille ville afin d'y trouver de la fraîcheur. Pour quitter la rade, il remonte le quai Constantin et passe devant l'hôtel Splendid avant de bifurquer vers le centre et l'intérieur de la ville. Il finit par tomber sur le bazar couvert et entreprend de le visiter et d'y déambuler. Il y fait quelques emplettes pendant environ une heure. 

Quand il en sort, il remarque que l'ambiance a changé dans la ville. Il y règne une agitation particulière qui n'existait pas avant qu'il ne rentre à l'intérieur du bazar. La panique et l'inquiétude se lisent sur les visages des habitants. Ne parlant pas le grec, il s'adresse à des soldats anglais puis à des sous-officiers français pour obtenir une explication. Il apprend alors qu'une partie de la ville est en flammes. Ce qui sera l'un des plus grands incendies du début du XXe siècle vient de démarrer, en ce 18 août 1917. Un drame qui vient donc de "fêter" ses 103 ans, il y a une dizaine de jours... 
L'Hôtel Splendid en flammes durant l'incendie d'août 1917 
(Wikimedia commons - Aeleftherios)


On lui indique que le feu est parti du côté du quartier de Meylane, lequel héberge de nombreux réfugiés, entre le centre-ville et la ville haute. Le vent attise le feu et celui-ci se dirige vers la préfecture, par la rue Aghiou Dimitriou, et vers le marché, via la rue Leontos Sofou. Se remémorant sa discussion avec le directeur de l'hôtel, Saudal réalise qu'il doit au plus vite aller sauver ses affaires, car l'établissement est situé dans un quartier directement menacé. 

Lorsqu'il arrive sur place, il voit que le feu s'approche dangereusement. La clientèle a été évacuée dans la rue et le personnel a formé une chaîne afin de faire passer des seaux d'eau. Comme il n'existe pas de brigade de pompiers à cette époque à Salonique, c'est à chacun de se débrouiller. Après quelques échanges avec le patron, Saudal se précipite vers les étages afin de gagner sa chambre. Il y découvre, au côté du directeur, que le feu a commencé à prendre. La poignée de la porte de sa chambre est brûlante, et quand il pénètre à l'intérieur il voit que le feu a déjà pris dans un coin. La commode qui contient ses effets est encore intacte. Il y récupère aussitôt sa sacoche contenant ses icônes, puis le maximum d'affaires qu'il peut. 
Carte de l'incendie de 1917 (Wikimedia Commons)


Il se redirige ensuite vers la sortie afin de quitter cette fournaise, mais il voit que le feu a déjà rejoint la porte. Le lit s'est enflammé lui aussi et le voilà pris au piège. Sa seule issue est de rejoindre la fenêtre de l'autre côté de la pièce, mais l'accès lui en est barré par les flammes. Ne sachant comment les franchir, il commence à paniquer puis à se résigner, avant de se mettre à crier à l'aide mais sans réponse. 

C'est alors qu'une vision surréaliste lui apparaît. Quelqu'un est allongé dans le lit parmi les flammes ("Parmi les flammes" est d'ailleurs le titre de ce XXIe chapitre). Pas n'importe qui puisqu'il s'agit du vieil homme de son rêve de la nuit précédente. Anthémios se présente ainsi directement à lui et non plus par l'intermédiaire d'un songe. Ebahi, Saudal reste muet et c'est le spectre qui prend la parole. Il lui demande encore de détruire ses objets maudits en les jetant au feu. Incrédule, Saudal s'y refuse encore et, devant l'insistance d'Anthémios, il s'irrite et se saisit d'un vase qu'il expédie vers l'apparition. Le vase traverse le corps d'Anthémios, rebondit sur le matelas en flammes et vient se briser contre le mur. Il comprend alors qu'il a bel et bien à faire à un fantôme mais il n'a pas vraiment le temps de s'en étonner ou de s'en épouvanter, le feu, de plus en plus proche, redevenant très vite sa première source d'inquiétude. Il lui faut s'échapper de là coûte que coûte. Anthémios lui indique que son heure n'est pas venue et qu'il survivra à cet incendie. Il ajoute que sa mort n'interviendra que le jour où les neuf envoyés de l'ombre viendront à sa rencontre. Saudal fait alors le rapprochement avec les neuf inconnus dont lui avait parlé la voyante serbe. Anthémios lui conseille ensuite de retrouver son sang froid pour se tirer de là, la solution étant simple selon lui. Puis il disparaît aussi vite qu'il était apparu. 
L'incendie vu depuis les quais (Wikimedia Commons - Macedonian-heritage.gr)


L'officier réfléchit rapidement et entreprend de renverser la commode avant de la soulever, dans un geste herculéen désespéré, pour la jeter sur le lit. Il profite alors de la brèche ainsi créée pour franchir le rideau de flammes et gagner la fenêtre. 

Là, le directeur et le personnel de l'hôtel l'aperçoivent et s'organisent pour permettre son évacuation. Un matelas est déposé au sol et un drap est tendu afin d'amortir sa chute. Saudal s'y jette et atterrit sans dommage, avec juste quelques brûlure superficielles et le visage noirci. Il l'a échappé belle et se demande ce qu'il devra faire de ses icônes maudites pour lesquelles il vient de risquer sa vie. Devrait-il s'en débarrasser ? Ou au contraire continuer à tout faire pour les garder ? Il penchera pour la deuxième option et rejoindra son régiment, à présent dans la région de Florina. 
Réfugiés après l'incendie (Wikimedia Commons - Macedonian-heritage.gr)


L'incendie ne sera finalement maîtrisé que le lendemain-soir. Le bilan sera pour le moins impressionnant avec pas loin de dix-mille bâtiments détruits et plus de soixante-dix mille sans-abris. Bien qu'il n'y ait eu aucun mort, le désastre humain est colossal. L'économie est anéantie et la grande majorité de la population n'a plus d'emploi. Aucune catégorie sociale ou confessionnelle n'est épargnée. La communauté juive reste néanmoins la plus touchée avec environ douze-mille sans-abris. Un vaste mouvement humanitaire, appuyé par les Croix Rouge française, britannique et américaine, ainsi que par le gouvernement grec pro-allié de Vénizelos, sera rapidement déployé. Dans les années d'après-guerre, un ambitieux programme de reconstruction sera consciencieusement établi, où la France jouera un grand rôle, donnant un nouveau visage à cette cité millénaire.

A bientôt.

Olivier.                  

mardi 19 novembre 2019



Entre paludisme et divination, l'avenir incertain du commandant Saudal... 




Le blog des "Icônes de sang" reprend son cours en cette fin d'année et aborde le vingtième chapitre où l'on retrouve le commandant Saudal à la fin juillet 1917. Frappé par la malaria, qui fait des ravages parmi les soldats du Front d'Orient, il est conduit à Salonique pour y être hospitalisé quelques semaines. A sa sortie, profitant d'une permission pour sa convalescence, il rend visite à un camarade de promotion dans le camp allié de Zeitenlick en périphérie de la ville, avant d'être amené à consulter, par hasard, une voyante serbe. Ce qu'elle lui révélera ne manquera pas de le troubler...
Attaque de l'infanterie bulgare près de Monastir en 1916 
(Wikimedia Commons -Grosser Bilderatlas des Weltkrieges) 

Ce chapitre, intitulé "Séjour à Zeitenlick", commence par dresser un résumé des différents mouvements et combats opposant les Français et leurs alliés serbes, russes ou italiens aux Bulgares et aux Allemands durant la période novembre 1916-juillet 1917. Je vous en épargne ici le détail, mais sachez que son principal point d'orgue est la prise de Monastir (l'actuelle Bitola dans l'actuelle Macédoine du Nord) par les Franco-Serbes, le 19 novembre 1916 (il y a donc très exactement 103 ans jour pour jour...). En dehors de ce succès, la ligne de front évolue peu durant cette période qui se verra néanmoins ponctuée en juillet par le ralliement grec au camp franco-britannique. Un basculement stratégique pour les Alliés sur ce front macédonien qui ne cesse de s'enliser.

Toutefois, au delà de l'opposition ennemie, les troupes françaises, comme celles de leurs Alliés, ont à faire à un autre adversaire plus redoutable encore sur ce front : la maladie. Les conditions sanitaires sont en effet catastrophiques sur le Front d'Orient et les soldats y sont confrontés à pléthore d'infections : paludisme surtout, mais aussi scorbut ou dysenterie, sans parler de tout un tas de maladies vénériennes. Le paludisme en particulier est un véritable fléau. La Macédoine, infestée de moustiques, est en effet l'une des dernières régions d'Europe où sévit encore la malaria. Les conditions météorologiques sont dures également avec des étés caniculaires et des hivers extrêmement rigoureux. 
Distribution de quinine aux enfants de l'école des réfugiés d'Asie mineure
 et de Macédoine, en août 1916, à Salonique (Wikimedia Commons - SCPA)

Dans ce contexte, le commandant Saudal n'échappe pas au paludisme et se retrouve frappé par une grave crise dans les derniers jours de juillet. Évacué de la région de Florina dans le nord de la Grèce, où est stationné son régiment, il est d'abord emmené à Klestina, un petit village où les Français ont installé un gîte dans une ancienne école turque. Il s'y repose quelques heures avant que des ambulanciers en auto ne viennent le conduire jusqu'à la gare de Florina située à quatre kilomètres de là. Il y trouve un petit train de six wagons spécialement aménagé pour accueillir blessés et malades. Il est conduit dans la voiture réservée aux officiers. Le train est à destination de Salonique et met plusieurs heures pour y parvenir. Le voyage est éprouvant pour Saudal, assailli par la fièvre malgré la quinine.

Une fois arrivé en gare de Salonique, on le charge dans une nouvelle ambulance qui l'emmène à Zeitenlick, le camp retranché allié en périphérie de la ville. Il est admis plus précisément à l'hôpital temporaire n°3 de Zeitenlick en bordure du camp, une vaste structure hospitalière établie dans les jardins du Moni Kalograion. Ce dernier est un couvent et orphelinat appartenant aux Soeurs de la Charité. 
Chambre de malades à l'Hôpital Temporaire n°3 du camp retranché de Zeitenlick en 1918
(Ministère de la culture - Mediathèque du patrimoine)






























Le lendemain de son admission, après avoir retrouvé ses esprits, Saudal reçoit la visite d'un médecin-major. Le praticien lui annonce qu'il est chanceux et qu'il est atteint par la forme la moins virulente du paludisme, celle du psalmodium vivax, laquelle est la moins répandue en Macédoine à cette époque. La grande majorité, environ 85% des cas, est en effet frappée par la forme la plus dangereuse, celle du psalmodium falciparum qui résiste à la quinine et qui est la plus mortelle. Saudal est trop groggy par la fatigue pour réaliser sa chance. Le médecin lui indique qu'il doit se reposer et qu'il devrait pouvoir sortir d'ici quinze jours environ. 
Frottis sanguins révélant la présence du parasite
Psalmodium falciparum en forme d'anneaux
à l'intérieur d'hématies humaines
(Wikimedia Commons - Tim Vickers)

Cette hospitalisation de deux semaines s'avérera éprouvante du fait de la chaleur. Réagissant bien à la quinine, sa crise de paludisme sera endiguée bien avant ce délai mais une intoxication alimentaire viendra le clouer au lit. Il ne sortira effectivement qu'au bout de quinze jours d'hôpital, le 17 août exactement. 

Saudal ne rejoint pourtant pas son régiment immédiatement après sa sortie, puisqu'il bénéficie d'une permission de huit jours afin de conforter sa convalescence. Il compte passer ces huit jours à Salonique et rend tout d'abord visite à un ancien collègue de promotion à Saint-Cyr qui vient d'être nommé commandant comme lui. Celui-ci opère au sein du 4e régiment de Chasseurs d'Afrique dont le dépôt se trouve au camp de Zeitenlick. Il emprunte une navette reliant l'hôpital au camp pour s'y rendre. Saudal déjeune et discute longuement avec lui avant de prendre congé.
Réfugiés dans le "village blindé" de Zeitenlick (CP - APA)

En se dirigeant vers la sortie du camp, le commandant passe à proximité d'un secteur occupé par les réfugiés serbes. Ce quartier est surnommé le "village blindé" en raison de ses baraques qui le composent, toutes en pierres avec un toit plat en béton armé et toutes identiques. C'est également un vrai village, malgré ses airs de bidonville, avec son église au centre et une école où les enfants apprennent le Serbe et le Français. Saudal s'y fait alpaguer par des enfants qui jouent dehors à l'ombre et l'accueillent en chantant "La Marseillaise" ou "Sambre et Meuse". Il les applaudit et reprend son chemin mais l'une des petites filles du groupe, âgée d'une dizaine d'années environ, le retient et lui propose les services de sa grand-mère pour lui lire l'avenir. Elle lui précise qu'elle peut le faire en lisant dans le marc de café et que ça ne lui coûtera pas cher. 

Saudal finit par se laisser convaincre, n'ayant rien d'autre de précis et urgent à faire à cet instant. Il y voit l'occasion de passer un moment à l'intérieur, à l'abri de la chaleur accablante. Tout en marchant, la petite lui dit s'appeler Mila et avoir dix ans. Elle le conduit dans la baraque où se trouve sa grand-mère. Elle y joue les interprètes entre l'officier et son aïeule. Cette dernière prépare un café turc qu'elle demande à Saudal de boire ensuite, une fois refroidi. Elle manipule ensuite la tasse, la soucoupe et une serviette blanche afin d'obtenir des traces de marc de café qu'elle va interpréter. 

Saudal est sceptique et se montre même un peu goguenard au début de la séance. Puis il commence à s'intéresser et même à s'inquiéter quand la petite fille lui apprend qu'elle voit plusieurs hommes sortir d'une nappe de brouillard. Ils sont armés, très grands, vêtus de noir et au nombre de neuf. La vieille paraît même effrayée en observant ce qu'elle voit. Saudal lui demande des explications et il apprend qu'ils viennent le tuer et qu'ils vont le tuer ! 

Le commandant le prend très mal, croit à une sinistre plaisanterie mais Mila lui confirme que c'est sérieux. Les neuf inconnus vont l'assassiner de leurs lames. Vexé et furieux, il se lève, règle la consultation et s'apprête à partir. Mila lui précise, avant qu'il ne s'en aille, que c'est en raison d'une malédiction qu'il porte sur lui que ces inconnus viennent l'exécuter. 

Saudal ne veut rien entendre et s'en va, excédé. Mais en son for intérieur, cette vision funeste sur son avenir ne manque pas de l'intriguer et de l'inquiéter, comme nous le verrons lors du prochain post et chapitre.

A bientôt.

Olivier.      

dimanche 19 mai 2019



Quand le commandant Saudal devient fou... 




Dans ce nouveau post, nous retrouvons Saudal, cantonné en Macédoine grecque, fin octobre 1916, quelques mois après la mort de Pierre Lacourt. Déjà très "border-line" de nature, vous découvrirez comment il devient carrément odieux et irascible lorsqu'il s'aperçoit que ses icônes et leur coffret ont disparus...
Transport de munitions germano-bulgare sur le front macédonien en octobre 1916
(Wikimedia Commons - Der Weltkrieg im Bild)

Ce dix-neuvième chapitre effectue un bond en avant de huit mois dans le temps. Il est d'abord introduit par un résumé des événements intervenus sur le Front d'Orient de mars à octobre 1916. A savoir, essentiellement un élargissement du front en Macédoine avec diverses actions localisées, comme la prise du fort du Rupel par les Bulgares, à l'est, qui contrôle la route entre Serres et Salonique, tandis qu'à l'ouest, ils reprenaient Florina et marchaient sur Ostrovo. Ils contrôlaient ainsi la Macédoine orientale et une bonne partie de la Macédoine occidentale. Les Alliés, de leur côté, avaient enchaîné les manœuvres défensives du côté de Dojran, de la Strouma, du Vardar et d'Ostrovo afin de prévenir ou contenir ces actions bulgares. Les Serbes avaient même réussi à s'emparer du Kaymakchalan, le plus haut sommet de la chaîne de la Mogla, qui domine la plaine de Salonique. Le front s'était donc de nouveau stabilisé, bien que plus large qu'auparavant. Le prochain objectif des Alliés sera alors de prendre Monastir, l'actuelle Bitola, principale ville du sud de ce que l'on appelle désormais officiellement la Macédoine du Nord, et qui était à l'époque la Macédoine serbe.
Carte des opérations sur le Front de Salonique en 1916 (Wikimedia Commons - West Point)
Soldat français s'exerçant au tir avec un Chauchat modèle 1915
(Wikimedia Commons - Imperial War Museum)

Le récit se recentre alors sur le commandant Saudal qui devient ainsi, après la mort de Pierre Lacourt, le personnage principal de ce second tome. Nous le retrouvons dans les derniers jours d'octobre, dans le camp où stationne son régiment dans la vallée du Vardar. Ce jour-là, il est occupé une bonne partie de la journée à superviser la formation de ses hommes au maniement du fusil-mitrailleur. Une arme qui venait de faire son apparition sur le Front d'Orient après quelques mois d'usage en France. On le surnomme le "Chauchat", du nom de l'officier qui l'avait conçu.

En fin de journée, il rentre dans son cantonnement préparer un rapport. Dans sa tente, il se rend compte qu'il lui manque des affaires. Son nécessaire à rasage et surtout une sacoche ont disparu. C'est la disparition de ce second effet qui le prend de stupeur, puis de panique et de colère. Et pour cause, cette sacoche contenait le coffret aux icônes ! Ses si chères icônes, titre d'ailleurs de ce chapitre, semblent avoir été dérobées par quelqu'un !  

En furie, il sort de sa tente et interroge avec véhémence le premier homme qu'il croise, en l'occurrence un adjudant de son bataillon. Celui-ci, qui a participé comme beaucoup de monde à l'instruction théorique sur le fusil-mitrailleur et qui était donc absent, n'a vu entrer personne dans la tente, ni en sortir, ni même y roder autour. L'adjudant lui suggère de se faire fournir une nouvelle mallette de rasage et une autre sacoche, ce qui lui vaut la désobligeance de Saudal. Ce dernier se tourne alors vers trois hommes du rang qui passent par là, dont Chauvet (mon arrière grand père que je fais revivre une seconde et dernière fois dans ce roman). Il leur pose les mêmes questions et obtient les mêmes réponses... Occupés à l'instruction, ils n'ont rien vu et semblent se demander pourquoi il fait toute une histoire de cette disparition qui leur parait anodine. Saudal pète alors les plombs et empoigne par le col l'un des hommes et lui exprime toute la colère et le désespoir que suscite chez lui la perte des ses objets. Sa fureur est à la hauteur de la dépendance qu'il éprouve envers ses icônes. Elle surgit au grand jour devant ces hommes qui restent incrédules. Ils finissent par s'interposer et saisissent Saudal pour qu'il relâche le malheureux sur le point d'être étranglé. 
Patrouille française sur le Vardar en septembre 1916,
photographie tirée du Miroir paru le 1er octobre 1916
(Wikimedia Commons - Le Miroir)

Un capitaine du bataillon vient les séparer et demande des explications. Saudal lui expose la situation et le capitaine tente de l'aider en lui posant quelques questions. Il veut savoir si cette sacoche contenait quelque chose d'important, comme des documents secrets afin de savoir si ce vol était l'oeuvre d'un espion ou d'un vulgaire maraudeur. Sans ménagement, Saudal lui rétorque que ce que contient cette sacoche ne regarde que lui. Il lui concède néanmoins que ce butin intéressera davantage un voleur qu'un espion. La conversation se poursuit et le capitaine lui apprend que plus tôt dans la journée des réfugiés macédoniens sont passés près du camp, suivis ensuite d'un convoi de Romanichels. Saudal y voit immédiatement les coupables de ce larcin. Pour lui, cela ne fait pas l'ombre d'un doute, ce sont ces Roms qui ont fait le coup. Très vite, il fait réquisitionner un camion dans le camp pour se lancer à leur poursuite. Accompagné du capitaine, d'un chauffeur et de deux hommes en armes, ainsi que d'un lieutenant serbe pour lui servir d'interprète, Saudal se retrouve dans le véhicule qui emprunte la piste, rendue boueuse par les pluies d'automne, le long du Vardar, menant vers le sud-est et Salonique.

Au bout de deux heures, ils parviennent à rattraper la cohorte de réfugiés qui a fait halte, en vue de la tombée de la nuit. Ils les dépassent puis continuent leur route avant de finir par rejoindre rapidement le convoi de Tziganes. Le camion dépasse tous les chariots avant de venir se garer en travers de la route afin de leur barrer le passage. Les Français en sortent précipitemment ainsi que l'officer serbe. 

Un homme d'une quarantaine d'années, qui n'est autre que le chef de ce clan, descend du premier chariot  et vient à leur rencontre. Il échange avec l'interprète longuement afin de comprendre ce qu'ils veulent. Le Serbe lui explique le vol et il finit par lui répondre qu'ils ne sont pour rien dans cette disparition d'objets. Saudal ne l'entend bien sûr pas de cette oreille et entreprend de faire fouiller chacune des roulottes du convoi. Le chef tente de s'interposer et proteste mais Saudal donne l'ordre de l'abattre s'il continue à faire des difficultés !

Chacun est surpris par un tel ordre, mais personne n'ose s'y opposer. Les investigations commencent alors dans le convoi, et les uns après les autres, les chariots se retrouvent fouillés sans ménagement. L'entreprise, longue et fastidieuse, s'avère infructueuse. La rage de Saudal ne fait que se décupler et il persiste à les croire coupables. Il sort alors son revolver et le braque sur la tempe d'un jeune garçon qui se trouve à proximité de lui ! 
La vallée du Vardar en aval de Demir Kapija, en mai 2012
(Wikimedia Commons - Prince Roy)

Il s'agit de l'un des fils du chef. Le gamin est terrifié et sa mère crie de panique. Son père, lui, s'inquiète auprès de l'interprète. Il lui demande pitié pour son fils et jure qu'il ne peut pas lui rendre ces objets, qu'ils ne possèdent pas. Le capitaine, appuyé par le lieutenant serbe, tente alors de le raisonner. Petit à petit, Saudal commence à les entendre et le capitaine argumente sur le fait qu'un tel acte déshonorerait l'armée française, entacherait la réputation du régiment et compromettrait sa carrière. Saudal finit par admettre que tout cela n'en vaut pas la peine et rengaine son arme. Il donne l'ordre à ses hommes de rentrer au camp tandis que l'enfant part se réfugier dans les bras de sa mère. Les Tziganes regardent partir le camion avec mépris et incrédulité, et aussi avec beaucoup de soulagement... 

Sur la route du retour, de nuit et sous la pluie, le camion est plongé dans le silence. Saudal se terre dans son dépit tandis que les deux autres officiers, encore stupéfaits par son attitude, n'osent plus lui adresser la parole.

Plus tard, une fois arrivé au cantonnement, le commandant Saudal se rend au mess pour y dîner. Il est tard mais les autres officiers du régiment y sont encore. Saudal reste silencieux durant tout le repas et ne prend la parole qu'à la fin. Il s'est rendu compte de l'absence du commandant Alliot, avec qui il partage sa tente. Il ne l'a plus vu depuis le début de matinée et demande de ses nouvelles. On lui apprend qu'il est tombé malade, pris d'une nouvelle crise de paludisme qui semble très sérieuse. Il a été emmené par les services de santé au dépôt n°2, que l'on surnomme le "dépôt des éclopés n°2" à quelques kilomètres de là, pour y être soigné. Saudal comprend alors qu'il tient là l'explication de la dispersion de son nécessaire à rasage et de sa sacoche. Si celles d'Alliot sont encore dans la tente et plus les siennes, c'est qu'elles ont été confondues par le personnel de santé !

Le lendemain matin, il se rend au dépôt n°2 et vient au chevet du commandant Alliot. Après quoi, il échange la sacoche et la mallette d'Alliot avec les siennes. Il prend alors la peine de vérifier dans sa sacoche et découvre que le coffret aux icônes y est toujours, bien enveloppé dans son chèche...

Il s'était mis dans tous ses états pour rien. Cette méprise anodine des infirmiers lui permet de mesurer à quel point il était devenu addict à ces objets. Il leur appartenait bien plus qu'ils ne lui appartenaient...

A bientôt.

Olivier.