jeudi 5 mai 2016


"14-18 (...) a aussi provoqué d'innombrables blessures psychiques. C'est plus précisément ce thème des "âmes cassées", plus méconnu, qu'il m'a paru intéressant d'aborder..." 




Découvrez mon entretien avec Pierre-Etienne Musson suite à la parution de son livre Un si joli mois d'août aux Editions Denoël. Pierre-Etienne fut un fervent supporter des Icônes de Sang lorsque le projet était en financement sur la plateforme Bookly, il est donc tout naturel de mettre en lumière aujourd'hui son livre sur le blog, d'autant que j'ai beaucoup aimé ce roman. L'occasion de parler entre auteurs de littérature dans le contexte de la Grande Guerre...

Une dédicace pour bien démarrer notre interview...
J'ai lu en mars ce livre sorti à la mi-février et nous avons convenu de nous fixer un rendez-vous pour en parler plus en détail. C'est autour d'une table dans un bistrot du XVIIe arrondissement que nous nous sommes retrouvés, à la mi-avril, pour nous en entretenir. Un établissement dont le nom était de circonstance : "Le P'tit Canon"...



Pierre-Etienne, Un si joli mois d'août est ton premier roman. Il raconte les bouleversements de la vie d'une femme suite à la grave blessure et au traumatisme subi par son mari, en 1915, durant la Grande Guerre. Pourquoi avoir plus particulièrement choisi cette période historique comme thème de ton premier livre ?

Je suis un passionné d’histoire et mes deux thèmes de prédilection ont toujours été le 1er Empire et 1914-1918… Ce sont deux périodes de rupture, avec des basculements irrémédiables qui ont conduit à un  «monde d’après». Concernant la Première Guerre Mondiale, j’ai toujours été fasciné par la monstruosité statistique de ces quatre années terribles : 1,5 millions de morts français, soit en moyenne mille par jour... Pas un village, pas une commune n'aura été épargnée…Des fratries entières ont été décimées, les veuves et les orphelins se sont comptés par centaines de milliers…Je trouve intéressant de voir comment la société française a dû se transformer pour encaisser un tel choc.

Les personnages principaux du roman sont tous originaires d'un petit village de Sologne appelé Nouan-le-Fuzelier dans le Loir-et-Cher. Tu es toi-même de la région puisque tu es d'Orléans, je crois, mais pourquoi avoir choisi plus spécifiquement ce village plutôt qu'un autre ? Tu y as des attaches ?

Je suis effectivement orléanais d’origine. La Sologne est une région que j’adore. Notamment pour la diversité et la beauté de ses paysages en toutes saisons. Quant au choix particulier du village de Nouan-le-Fuzelier, il n'y a pas d’autre raison que la sonorité poétique que je lui trouve.

Le roman est particulièrement bien documenté. J'imagine que tu as dû mener d'importantes recherches pour cadrer et nourrir son univers et son environnement. Comment  t'y es-tu pris et sur combien de temps se sont écoulées ces recherches ? Et l'écriture du livre elle-même ?

J’ai toujours beaucoup lu sur cette période. Les récits des écrivains combattants bien sûr comme Genevoix, Barbusse, Jünger Dorgelès ou Remarque par exemple mais aussi les recueils d’archives photographiques ou les « Paroles de Poilus ». Le contexte global de 1914-1918 m’est donc assez familier. En revanche, j’ai dû me documenter précisément sur le « Shell-Shock », c'est à dire le traumatisme créé par les bombardements à répétition,  et  sur les traitements médicaux que les médecins militaires réservaient aux blessés psychiques… Des ouvrages d’historien m’ont été précieux, comme ceux de Jean-Yves Le Naour notamment. L’écriture du livre en lui-même a couru sur une année environ. 


La structure du récit a la particularité d'être assez éclatée avec de nombreuses ruptures dans la chronologie, d'alternance de chapitres se situant après la blessure d'Antoine, le mari d'Inès, personnage principal du roman, ou bien avant celle-ci. On alterne ainsi entre des passages se situant durant la période 1916-1918 et d'autres en 1914-1915. Ce parti-pris a-t-il été d'emblée le tien ? Ou as-tu d'abord rédigé un premier jet respectant la linéarité de la chronologie avant de décider de tout déstructurer et de rompre cette linéarité ? Peut-être était-ce un conseil de ton éditeur ?  

D’emblée, j’ai opté pour cette alternance de chapitres courts, avec des ruptures chronologiques, permettant de passer (ou de revenir) d’une période à une autre. Un peu à l’image d’un peintre qui rajouterait des petites touches successives de couleur à des parties de son tableau que l’on pensait terminées. Cela donne je pense un rythme original et soutenu à l’ensemble.


Par son sujet, ton livre est ce que l’on pourrait appeler un roman de « gueule cassée », ce type de roman qui raconte l’histoire de personnages, ou de leurs proches, qui doivent réapprendre à vivre ou à ré-envisager leur vie après le traumatisme d’une grave blessure sur le front de la première guerre mondiale. L’enjeu pour les personnages y est de retrouver la force et les moyens de surmonter cette épreuve et de réinventer leur vie, souvent en fonction des opportunités qui s’offrent à eux dans ce contexte particulier de la guerre ou de l’immédiat d’après-guerre. Il y a eu de nombreux chefs d’œuvre dans ce genre, je pense notamment à des romans comme "La Chambre des Officiers" de Marc Dugain, ou à "Un Long Dimanche de Fiançailles" de Sébastien Japrisot qui ont fait l'objet de magnifiques adaptations cinématographiques, mais aussi, dans un passé plus récent, au "Collier Rouge" de Jean-Christophe Rufin et, bien entendu, à "Au revoir Là-haut" de Pierre Lemaître, Prix Goncourt 2013. Ces différents auteurs et romans ont-ils été des modèles dont tu t'es inspiré pour écrire ton livre ? Ou bien tes inspirations se situent elles ailleurs ? 

Cet univers littéraire m’a évidemment accompagné et imprégné. Et à Pierre Lemaître et à Jean-Christophe Rufin j'ajouterais Dalton Trumbo, Joseph Boyden, Philippe Claudel ou Laurent Gaudé…. Mais si la guerre 14-18 a fait des dizaines de milliers de « gueules cassées », elle a aussi provoqué d’innombrables blessures psychiques. C’est plus précisément ce thème des « âmes cassées », plus méconnu, qu’il m’a paru intéressant d’aborder. 

Cour à l'intérieur du Lycée Buffon à Paris
(Wikimedia Commons - Kajimoto)
L'univers des hôpitaux militaires durant la Grande Guerre est bien restitué dans ton livre. Je pense notamment à celui qui se tenait dans les bâtiments du Lycée Buffon, où est soigné Antoine pour ses blessures physiques, puis à celui de Neuilly-sur-Marne où il y est (mal)traité pour son traumatisme psychique. Es-tu allé sur place pour t'imprégner des lieux ou t'es tu contenté de la documentation que tu as pu te procurer ?

J’ai étudié la façade et l’allure d’ensemble du lycée Buffon…mais j’ai préféré en deviner l’intérieur. Concernant la clinique de la Maison Blanche, à Neuilly-sur-Marne, elle a vraiment existé mais là encore la description que j’en donne laisse la part belle à la fiction. Il est important que le cadre historique soit fidèlement retranscrit mais l’imagination doit aussi prendre le relais.

La plupart des médecins militaires que l'on rencontre dans ton roman sont absolument détestables. Il y a bien-sûr Saluron, à Buffon, malsain et opportuniste et surtout Fournier-Farnaise et son acolyte, à Neuilly-sur-Marne, plus tortionnaires que médecins... ces salauds sont-ils nés de ton imagination ou sont-ils d'authentiques praticiens de l'époque ? 

Le docteur Clovis Vincent dans les années 30
(Wikimedia Commons - Biusanté-Paris Descartes)
Ces personnages sont fictifs mais je me suis inspiré d’authentiques médecins militaires en accentuant certains de leurs travers. Le Dr Clovis Vincent notamment, qui exerçait à l’hôpital de Tours, patriote exalté et inventeur du « torpillage électrique » destiné à ramener à la raison les prétendus simulateurs. Ce bon docteur avait un credo : « la douleur qui guérit n’est pas un mal ! »… Ses méthodes, quoique décriées, ont été soutenues jusqu'au bout par les ministères de tutelle.

On a parlé de l'écriture et de la structure de ce livre, mais qu'en a-t-il été de sa publication ? Je suis bien placé pour savoir qu'il est difficile de se faire éditer, as-tu démarché de nombreuses maisons avant de voir ton manuscrit accepté chez Denoël ?

Il faut s’armer de patience et compter évidemment sur une part de chance. J’avais envoyé un premier manuscrit à différentes maisons d’édition qui me l’ont toutes décliné. J’ai travaillé sur un autre projet et la deuxième tentative a été la bonne. La chance de tomber sur la bonne personne au bon moment. 

Pour conclure cet entretien, parlons de l'avenir. As-tu déjà un projet de deuxième livre ? Le cas échéant, tu veux bien nous en dire un ou deux mots ;) ? 

J’ai effectivement un nouveau projet en cours qui a pour cadre la période du 1er Empire…Autre période de basculement d’un monde à un autre. Work in progress !

Une dernière photo souvenir avant de se quitter....