mardi 11 mars 2014

"J'estime que La confession d'Anthémios est complémentaire de Byzance, An 800 (...) et que ce roman sera une excellente source d'inspiration..."

J'ai eu le plaisir de m'entretenir la semaine dernière avec Eric Dubourg, l'auteur de Byzance, An 800, le nouveau jeu de rôle à paraître aux Editions Sans Détour. Je vous propose de découvrir aujourd'hui cette interview exclusive pendant laquelle Eric est revenu en détail sur la genèse et les particularités de son projet. Il s'explique notamment sur les motivations qui l'ont poussé à développer ce jeu, sur les recherches qu'il a dû entreprendre pour le mener à bien et se projette sur ses évolutions futures. Enfin, il revient sur les raisons qui l'ont amené à recommander la lecture de mon roman La confession d'Anthémios dans le cadre de la bibliographie du supplément du jeu...  

C'est à Paris, dans un restaurant du VIIIème arrondissement que nous avons convenu de nous retrouver pour cet entretien. Et comme il fallait un lieu symbolique pour marquer cette rencontre entre auteurs, nous nous sommes donné rendez-vous dans un établissement situé rue de Constantinople, la plus byzantine des adresses parisiennes...


Actuellement en précommande, Byzance, An 800
sera disponible très bientôt dans les réseaux spécialisés
(Editions Sans Détour)
Eric, Byzance, An 800 constitue le premier volet d’une nouvelle gamme pour L’Appel de Cthulhu intitulée Le Mythe au cœur de l’Histoire. Quel a été l’élément déclencheur de ce projet ? Et pourquoi avoir choisi un cadre byzantin pour inaugurer cette nouvelle déclinaison du jeu ?

Le supplément est la réunion de deux passions avec d’un côté l’Appel de Cthulhuet de l’autre l’histoire avec un grand H. Après avoir rédigé plusieurs scénarios (certains non encore publiés – je pense en particulier à une série de scénarios tournant autour du Mythe de Kukulkan, et au cours duquel les investigateurs voyageaient beaucoup, de Londres à l’Égypte ainsi qu’au Mexique), je me suis intéressé à l’Histoire, avec quelques scénarios publiés sur la toile (notamment un scénario sur l’Antiquité Romaine, « Carthago Delenda Est », téléchargeable sur TOC). Et il y a à peu près sept ans, lors d’une discussion avec un ami, nous nous sommes posé la question de quand datait véritablement la décadence de Byzance. De cette question a découlé plusieurs dates, et il y a cinq ans, je me suis dit, « et pourquoi pas jouer dans l’empire byzantin ? ». J’ai fait le constat qu’il n’existait en langue française aucun jeu abouti concernant la civilisation byzantine. Et je me suis lancé avec mon ami Benjamin. Et lorsque j’ai soumis mon projet à Sans Détour, ils ont accepté car ils pensaient au même moment lancer une sous-gamme historique pour l’Appel de Cthulhu. C’était en 2010. Et depuis, nous avons travaillé avec l’éditeur sur les textes, les illustrations et les plans de cité pour parvenir à un résultat qui j’espère plaira au plus grand nombre.

Basile Ier (812-886) à cheval (Détail tiré du Codex Skylitses Matrisensis

XIIème siècle, Biblioteca Nacional de Madrid : Wikimedia Commons - Zuckerfrei)

L’épopée de la civilisation byzantine s’est étirée sur un peu plus de mille ans. Pourquoi avoir situé plus spécifiquement l’action du jeu en 870, dans les premières années du règne de Basile Ier (867-886), plutôt qu’à une autre époque de l’ère byzantine ?

Il y a de nombreuses périodes phares qui sont à mon sens propices pour jouer byzantin : le règne de Justinien avec la reconquête de l’Occident, le siècle de l’iconoclasme pour jouer à fond sur les querelles religieuses, ou encore l’ère des Comnènes, avec les Croisades en toile de fond, et ce qui a été choisi : le règne de Basile et le début de la dynastie macédonienne. Toutes ces périodes, et d’autres encore, constituent un excellent cadre de jeu. Je voulais un cadre de jeu où les querelles religieuses étaient encore dans les esprits. La fin de l’iconoclasme date d’à peine moins de trente ans, ce qui signifie qu’une partie de la population s’en souvient encore. Et je voulais aussi un empire byzantin qui affirme sa grandeur face à ses ennemis, ses alliés et ses rivaux. D’où le début de la dynastie macédonienne, le début d’un nouvel âge d’or pour l’empire byzantin. C’est une phase d’expansion et de rayonnement, renforcée par l’aspect uchronique du jeu.

En quoi cet univers byzantin se prête-t-il bien à une adaptation de jeu pour L’Appel de Cthulhu ? Porterait-il en lui une part de fantastique qui le rapprocherait de l’univers de H.P. Lovecraft ?

Lorsque l’on parcoure les livres abordant le Mythe de Cthulhu, on constate que le Mythe a toujours existé, et qu’il est par conséquent intemporel. C’est la raison même de la collection le Mythe au coeur de l’HistoireLes Byzantins, pourtant de fervents chrétiens, croyaient à la magie, aux présages et aux oracles. Ils croyaient que la sorcellerie leur permettait de se venger des torts qui leur étaient fait. Il y avait aussi à la cour de Byzance et en province, de nombreux complots politiques et religieux qui se montaient, parfois contre l’empereur, parfois contre tel dignitaire de province. Tout cela montre la présence du fantastique au jour le jour à Byzance, et par voie de conséquence, il paraissait très logique d’y inclure le Mythe. De plus, les campagnes sont encore pour certaines très imprégnées de paganisme (slaves, bulgares, Rus...), ce qui est aussi une porte aisée d’entrée pour le Mythe.

Le jeu, bien que se situant dans un contexte historique très précis, est volontairement uchronique. Pourquoi ce choix ? Favoriser l’intégration d’une dimension fantastique ? Diversifier les possibilités de scénario ?

L'Empire Byzantin à l'avènement de Basile Ier en 867 (Wikimedia Commons - Bigdaddy1204)
Le choix a été fait dès le départ d’avoir un univers qui puisse surprendre les joueurs, et faire apparaître le Mythe tel qu’il ne l’a jamais été. Il y a par exemple le mystère des anciens dieux qui sont de retour, ou encore la présence d’un empire sassanide. On a dans Byzance, An 800 des puissances en déclin, d’autres qui montent, ce qui crée un climat propice pour des complots politiques sur fond de luttes religieuses, et avec en arrière plan les anciennes croyances païennes de l’Antiquité. Cela peut permettre d’apporter de l’originalité dans les parties. De plus, les royaumes uchroniques (soit l’Égypte et l’Empire sassanide principalement) sont très liés au Mythe et en font un protagoniste privilégié. Conserver une partie de l'empire byzantin en Afrique du Nord facilite pour les gardiens la possibilité de jouer dans ces régions fertiles en occulte et pour les joueurs la possibilité de jouer à fond sur toutes les cultures existantes. Cependant, celui qui veut jouer purement historique le peut tout à fait. Il peut à son gré intégrer le Mythe ou non. Un travail d’adaptation est nécessaire pour adapter ce qui est dit dans les pays de la Tunisie à l’Égypte qui dans Byzance, An 800 sont différents de notre réalité.


Dans ce contexte, quelles missions les joueurs sont ils amenés à accomplir et à quels enjeux sont-ils confrontés ?

Les investigateurs peuvent être seuls contre le Mythe, ou encore ils peuvent faire partie d’une organisation puissante à la Delta Green, soit pour l’empire byzantin Omega Mystikos. On peut recréer dans un tel cadre les ambiances de suspicion, de complots et de paranoïa. Les joueurs peuvent être de simples aventuriers, des quidams confrontés à une menace occulte, des agents du pouvoir chargés de maintenir l'ordre même face aux horreurs occultes, des politiciens ou des agents de politiciens retors ou encore des victimes de machinations.



Pièces d'or byzantines à l'effigie respectivement de Basile Ier
et de son épouse l'impératrice Eudocie Ingérina (840-882)
accompagnée de leur fils Constantin, datées de 882, Constantinople
(Wikimedia Commons - Classical numismatic group)
Le travail de recherche et de documentation a dû être conséquent. Comment avez-vous réuni et compulsé vos sources ? Et sur combien de temps ces recherches se sont elles étalées ?

Effectivement nous ne comptons plus les heures passées en bibliothèques spécialisées pour noter ce qui nous paraissait très intéressant dans les nombreuses sources disponibles, à commencer par les essais parus par exemple dans Revue des Études Byzantines, Byzantion ou Byzantinoslavica. Ou à consulter des sources universitaires. Les recherches ont été organisées par grands thèmes qui correspondent tout naturellement aux chapitres de cet ouvrage (et aux ouvrages ultérieurs). Ainsi, la Grèce et la civilisation byzantine (pour ne citer que ces deux exemples) ont représenté un temps de recherche conséquent, dont je serais incapable de chiffrer la durée exacte. Je peux juste dire que globalement, entre recherches et écritures, cela fait cinq années que ça dure, et je considère (je parle là davantage des suppléments ultérieurs) qu’il y a encore des informations intéressantes que je n’ai pas, et qu’il me faut trouver, les suppléments n’en paraîtront que meilleurs.



Vous avez élaboré Byzance, An 800 avec l’aide de Benjamin Ott et de Celdric Turmel. De quelle manière vous êtes vous réparti les tâches dans le projet ? Chacun intervenait-il dans un domaine spécifique bien défini ?

Le projet byzantin a commencé à deux et a fini à trois. Avec Benjamin, on s’est plongé sur le développement du background, tandis que Celdric et Benjamin s’occupaient de la partie règles.

Le jeu contient, bien entendu, de nombreux lieux intrigants chargés de mysticisme ou de mystère. Je pense par exemple à cette étrange église en Arménie où celui qui y prie ou s’y recueille peut y connaître des visions divines (ou peut-être démoniaques ?), ou à ce monastère du Paraclet, en Carthagie, où l’on recueille et réconforte les fous et dont il est question dans le scénario 2. Ces lieux sont-ils authentiques ou totalement imaginaires ? Ou bien vous ont-ils été inspirés par des sites byzantins réels, mais imprégnés de certaines légendes ou réputations, que vous auriez ensuite transposés à votre gré dans le jeu ?

Certains de ces lieux sont authentiques, d’autres sont totalement imaginaires (comme le monastère du Paraclet). À chaque fois que cela était possible, nous nous sommes basés sur les sources archéologiques et historiques pour proposer quelque chose d’intéressant et d’original et qui soit propice à des aventures. Il arrive que l’on développe un lieu à partir d’une mention originale ou d’une anecdote, et dans ce cas on l’enrichit avec des descriptions appropriées.

Parmi les ouvrages conseillés dans la bibliographie du supplément du jeu, vous avez placé en tête de liste La confession d’Anthémios, le premier tome de ma saga. Qu’est-ce qui vous a décidé ou convaincu de le recommander ? Comment l’avez-vous connu et en quoi sa lecture est-elle utile selon vous pour les joueurs de Byzance, An 800

J’estime que ce roman, que j’ai découvert alors que je faisais des recherches sur Byzance sur internet, est complémentaire de Byzance, An 800. Il présente la civilisation byzantine sous un angle narratif, ce qui permet au lecteur une totale immersion dans le monde byzantin au moment de la seconde crise iconoclaste. Il sera pour les futurs gardiens une excellente source d’inspiration, une illustration de ce que pourrait être une aventure ou une campagne à la byzantine, en plus de ce qui est déjà présenté dans Byzance, An 800. Par exemple, les investigateurs pourraient aller sur les traces d’Anthémios, sur les lieux mêmes du roman, et découvrir ce qui s’y est passé un demi-siècle plus tard.

Cet e-book a été édité et révélé par le biais du financement participatif. Quel regard portez-vous sur ce nouveau mode d’édition ? Pensez-vous que ce principe du crowdfunding soit transposable dans le domaine du jeu de rôle et qu’il le sera un jour ?

Ce principe du crowdfunding est déjà d’actualité dans la sphère du jeu de rôle. Il y a de nombreux projets qui sortent, via Ulule ou pour les américains, KickstarterC’est par ce biais qu’a été financé Horror on the Orient Express aux États Unis, et qui est annoncé en français à l’été prochain, mais sans financement participatif.

Quels seront vos prochains projets après ce lancement ? L’élaboration du deuxième volet du Mythe au cœur de l’Histoire ?

Basile Ier et son fils, le futur Léon VI (866-912), enluminure tirée du Codex Skylitses Matrisensis,
XIIème siècle, Biblioteca Nacional de Madrid - (Wikimedia Commons - Ghirlandajo)
Évidemment ! L’histoire de Byzance ne s’arrêtera pas à un seul supplément. Lors de la sortie en boutique, arrivera une aide de jeu téléchargeable sur le site de Sans Détour appelée Omega Mystikos décrivant une organisation similaire dans son fonctionnement à Delta Green, mais en même temps totalement différente. L’empereur est conscient de l’existence d’Omega Mystikos, il en est même son chef. La suite est en cours d’écriture, et sera publiée par Sans Détour si Byzance, An 800 rencontre son public. Si cela arrive, alors pourra être abordé dans les suppléments suivants le cœur de l’empire (dont Constantinople en détail), les Royaumes du Nil qui apparaissent si mystérieux à la lecture du premier supplément, et bien entendu des aventures et des campagnes, ainsi que des idées pour poursuivre après le règne de Basile et ce jusqu’au règne d’Alexis Comnène (qui était initialement le cadre que j’avais choisi au démarrage du projet). Comme un supplément historique prend du temps à être rédigé, dès la fin de l’écriture de Byzance, An 800, je me suis lancé avec Benjamin vers d’autres aventures, dont Omega Mystikos est la première brique. Grâce au travail préparatoire, si succès il y a, les futurs gardiens n’auront pas besoin d’attendre trop longtemps pour la suite. Mais il n’y a pas que Byzance d’envisagé. Sans avoir encore rien écrit dessus (mais en ayant quand même compilé quelques sources archéologiques intéressantes), il y a trois autres périodes qui m’intéressent particulièrement, et qui jusqu’à présent n’ont jamais été abordés en jeu de rôle. L’un se situe dans l’Antiquité, l’autre au Nouveau Monde, et le dernier dans les mers du sud.

Une dernière question avant de conclure cet entretien : en 870, Anthémios, le personnage principal de mon roman, a 70 ans, il lui reste quatre années à vivre (il livre sa confession en 874) et il est un prospère négociant en vin de Thessalonique installé dans le quartier du port. Les joueurs de Byzance, An 800 auront-ils une chance de le « croiser », même fortuitement, au cours de leurs aventures ;) ? 

C’est quelque chose qui est loin d’être exclu en effet. Il est tout à fait possible – et souhaitable – que des scénarios rédigés par les futurs gardiens de Byzance, An 800 mettent en lumière le personnage d’Anthémios. Et bien d’autres encore, qui sommeillent dans l’imaginaire collectif. Je gage qu’avec ce roman ils trouveront de l’inspiration complémentaire à celle qu’ils, ou elles, trouveront en lisant Byzance, An 800 et Omega Mystikos.