mardi 19 novembre 2019



Entre paludisme et divination, l'avenir incertain du commandant Saudal... 




Le blog des "Icônes de sang" reprend son cours en cette fin d'année et aborde le vingtième chapitre où l'on retrouve le commandant Saudal à la fin juillet 1917. Frappé par la malaria, qui fait des ravages parmi les soldats du Front d'Orient, il est conduit à Salonique pour y être hospitalisé quelques semaines. A sa sortie, profitant d'une permission pour sa convalescence, il rend visite à un camarade de promotion dans le camp allié de Zeitenlick en périphérie de la ville, avant d'être amené à consulter, par hasard, une voyante serbe. Ce qu'elle lui révélera ne manquera pas de le troubler...
Attaque de l'infanterie bulgare près de Monastir en 1916 
(Wikimedia Commons -Grosser Bilderatlas des Weltkrieges) 

Ce chapitre, intitulé "Séjour à Zeitenlick", commence par dresser un résumé des différents mouvements et combats opposant les Français et leurs alliés serbes, russes ou italiens aux Bulgares et aux Allemands durant la période novembre 1916-juillet 1917. Je vous en épargne ici le détail, mais sachez que son principal point d'orgue est la prise de Monastir (l'actuelle Bitola dans l'actuelle Macédoine du Nord) par les Franco-Serbes, le 19 novembre 1916 (il y a donc très exactement 103 ans jour pour jour...). En dehors de ce succès, la ligne de front évolue peu durant cette période qui se verra néanmoins ponctuée en juillet par le ralliement grec au camp franco-britannique. Un basculement stratégique pour les Alliés sur ce front macédonien qui ne cesse de s'enliser.

Toutefois, au delà de l'opposition ennemie, les troupes françaises, comme celles de leurs Alliés, ont à faire à un autre adversaire plus redoutable encore sur ce front : la maladie. Les conditions sanitaires sont en effet catastrophiques sur le Front d'Orient et les soldats y sont confrontés à pléthore d'infections : paludisme surtout, mais aussi scorbut ou dysenterie, sans parler de tout un tas de maladies vénériennes. Le paludisme en particulier est un véritable fléau. La Macédoine, infestée de moustiques, est en effet l'une des dernières régions d'Europe où sévit encore la malaria. Les conditions météorologiques sont dures également avec des étés caniculaires et des hivers extrêmement rigoureux. 
Distribution de quinine aux enfants de l'école des réfugiés d'Asie mineure
 et de Macédoine, en août 1916, à Salonique (Wikimedia Commons - SCPA)

Dans ce contexte, le commandant Saudal n'échappe pas au paludisme et se retrouve frappé par une grave crise dans les derniers jours de juillet. Évacué de la région de Florina dans le nord de la Grèce, où est stationné son régiment, il est d'abord emmené à Klestina, un petit village où les Français ont installé un gîte dans une ancienne école turque. Il s'y repose quelques heures avant que des ambulanciers en auto ne viennent le conduire jusqu'à la gare de Florina située à quatre kilomètres de là. Il y trouve un petit train de six wagons spécialement aménagé pour accueillir blessés et malades. Il est conduit dans la voiture réservée aux officiers. Le train est à destination de Salonique et met plusieurs heures pour y parvenir. Le voyage est éprouvant pour Saudal, assailli par la fièvre malgré la quinine.

Une fois arrivé en gare de Salonique, on le charge dans une nouvelle ambulance qui l'emmène à Zeitenlick, le camp retranché allié en périphérie de la ville. Il est admis plus précisément à l'hôpital temporaire n°3 de Zeitenlick en bordure du camp, une vaste structure hospitalière établie dans les jardins du Moni Kalograion. Ce dernier est un couvent et orphelinat appartenant aux Soeurs de la Charité. 
Chambre de malades à l'Hôpital Temporaire n°3 du camp retranché de Zeitenlick en 1918
(Ministère de la culture - Mediathèque du patrimoine)






























Le lendemain de son admission, après avoir retrouvé ses esprits, Saudal reçoit la visite d'un médecin-major. Le praticien lui annonce qu'il est chanceux et qu'il est atteint par la forme la moins virulente du paludisme, celle du psalmodium vivax, laquelle est la moins répandue en Macédoine à cette époque. La grande majorité, environ 85% des cas, est en effet frappée par la forme la plus dangereuse, celle du psalmodium falciparum qui résiste à la quinine et qui est la plus mortelle. Saudal est trop groggy par la fatigue pour réaliser sa chance. Le médecin lui indique qu'il doit se reposer et qu'il devrait pouvoir sortir d'ici quinze jours environ. 
Frottis sanguins révélant la présence du parasite
Psalmodium falciparum en forme d'anneaux
à l'intérieur d'hématies humaines
(Wikimedia Commons - Tim Vickers)

Cette hospitalisation de deux semaines s'avérera éprouvante du fait de la chaleur. Réagissant bien à la quinine, sa crise de paludisme sera endiguée bien avant ce délai mais une intoxication alimentaire viendra le clouer au lit. Il ne sortira effectivement qu'au bout de quinze jours d'hôpital, le 17 août exactement. 

Saudal ne rejoint pourtant pas son régiment immédiatement après sa sortie, puisqu'il bénéficie d'une permission de huit jours afin de conforter sa convalescence. Il compte passer ces huit jours à Salonique et rend tout d'abord visite à un ancien collègue de promotion à Saint-Cyr qui vient d'être nommé commandant comme lui. Celui-ci opère au sein du 4e régiment de Chasseurs d'Afrique dont le dépôt se trouve au camp de Zeitenlick. Il emprunte une navette reliant l'hôpital au camp pour s'y rendre. Saudal déjeune et discute longuement avec lui avant de prendre congé.
Réfugiés dans le "village blindé" de Zeitenlick (CP - APA)

En se dirigeant vers la sortie du camp, le commandant passe à proximité d'un secteur occupé par les réfugiés serbes. Ce quartier est surnommé le "village blindé" en raison de ses baraques qui le composent, toutes en pierres avec un toit plat en béton armé et toutes identiques. C'est également un vrai village, malgré ses airs de bidonville, avec son église au centre et une école où les enfants apprennent le Serbe et le Français. Saudal s'y fait alpaguer par des enfants qui jouent dehors à l'ombre et l'accueillent en chantant "La Marseillaise" ou "Sambre et Meuse". Il les applaudit et reprend son chemin mais l'une des petites filles du groupe, âgée d'une dizaine d'années environ, le retient et lui propose les services de sa grand-mère pour lui lire l'avenir. Elle lui précise qu'elle peut le faire en lisant dans le marc de café et que ça ne lui coûtera pas cher. 

Saudal finit par se laisser convaincre, n'ayant rien d'autre de précis et urgent à faire à cet instant. Il y voit l'occasion de passer un moment à l'intérieur, à l'abri de la chaleur accablante. Tout en marchant, la petite lui dit s'appeler Mila et avoir dix ans. Elle le conduit dans la baraque où se trouve sa grand-mère. Elle y joue les interprètes entre l'officier et son aïeule. Cette dernière prépare un café turc qu'elle demande à Saudal de boire ensuite, une fois refroidi. Elle manipule ensuite la tasse, la soucoupe et une serviette blanche afin d'obtenir des traces de marc de café qu'elle va interpréter. 

Saudal est sceptique et se montre même un peu goguenard au début de la séance. Puis il commence à s'intéresser et même à s'inquiéter quand la petite fille lui apprend qu'elle voit plusieurs hommes sortir d'une nappe de brouillard. Ils sont armés, très grands, vêtus de noir et au nombre de neuf. La vieille paraît même effrayée en observant ce qu'elle voit. Saudal lui demande des explications et il apprend qu'ils viennent le tuer et qu'ils vont le tuer ! 

Le commandant le prend très mal, croit à une sinistre plaisanterie mais Mila lui confirme que c'est sérieux. Les neuf inconnus vont l'assassiner de leurs lames. Vexé et furieux, il se lève, règle la consultation et s'apprête à partir. Mila lui précise, avant qu'il ne s'en aille, que c'est en raison d'une malédiction qu'il porte sur lui que ces inconnus viennent l'exécuter. 

Saudal ne veut rien entendre et s'en va, excédé. Mais en son for intérieur, cette vision funeste sur son avenir ne manque pas de l'intriguer et de l'inquiéter, comme nous le verrons lors du prochain post et chapitre.

A bientôt.

Olivier.      

dimanche 19 mai 2019



Quand le commandant Saudal devient fou... 




Dans ce nouveau post, nous retrouvons Saudal, cantonné en Macédoine grecque, fin octobre 1916, quelques mois après la mort de Pierre Lacourt. Déjà très "border-line" de nature, vous découvrirez comment il devient carrément odieux et irascible lorsqu'il s'aperçoit que ses icônes et leur coffret ont disparus...
Transport de munitions germano-bulgare sur le front macédonien en octobre 1916
(Wikimedia Commons - Der Weltkrieg im Bild)

Ce dix-neuvième chapitre effectue un bond en avant de huit mois dans le temps. Il est d'abord introduit par un résumé des événements intervenus sur le Front d'Orient de mars à octobre 1916. A savoir, essentiellement un élargissement du front en Macédoine avec diverses actions localisées, comme la prise du fort du Rupel par les Bulgares, à l'est, qui contrôle la route entre Serres et Salonique, tandis qu'à l'ouest, ils reprenaient Florina et marchaient sur Ostrovo. Ils contrôlaient ainsi la Macédoine orientale et une bonne partie de la Macédoine occidentale. Les Alliés, de leur côté, avaient enchaîné les manœuvres défensives du côté de Dojran, de la Strouma, du Vardar et d'Ostrovo afin de prévenir ou contenir ces actions bulgares. Les Serbes avaient même réussi à s'emparer du Kaymakchalan, le plus haut sommet de la chaîne de la Mogla, qui domine la plaine de Salonique. Le front s'était donc de nouveau stabilisé, bien que plus large qu'auparavant. Le prochain objectif des Alliés sera alors de prendre Monastir, l'actuelle Bitola, principale ville du sud de ce que l'on appelle désormais officiellement la Macédoine du Nord, et qui était à l'époque la Macédoine serbe.
Carte des opérations sur le Front de Salonique en 1916 (Wikimedia Commons - West Point)
Soldat français s'exerçant au tir avec un Chauchat modèle 1915
(Wikimedia Commons - Imperial War Museum)

Le récit se recentre alors sur le commandant Saudal qui devient ainsi, après la mort de Pierre Lacourt, le personnage principal de ce second tome. Nous le retrouvons dans les derniers jours d'octobre, dans le camp où stationne son régiment dans la vallée du Vardar. Ce jour-là, il est occupé une bonne partie de la journée à superviser la formation de ses hommes au maniement du fusil-mitrailleur. Une arme qui venait de faire son apparition sur le Front d'Orient après quelques mois d'usage en France. On le surnomme le "Chauchat", du nom de l'officier qui l'avait conçu.

En fin de journée, il rentre dans son cantonnement préparer un rapport. Dans sa tente, il se rend compte qu'il lui manque des affaires. Son nécessaire à rasage et surtout une sacoche ont disparu. C'est la disparition de ce second effet qui le prend de stupeur, puis de panique et de colère. Et pour cause, cette sacoche contenait le coffret aux icônes ! Ses si chères icônes, titre d'ailleurs de ce chapitre, semblent avoir été dérobées par quelqu'un !  

En furie, il sort de sa tente et interroge avec véhémence le premier homme qu'il croise, en l'occurrence un adjudant de son bataillon. Celui-ci, qui a participé comme beaucoup de monde à l'instruction théorique sur le fusil-mitrailleur et qui était donc absent, n'a vu entrer personne dans la tente, ni en sortir, ni même y roder autour. L'adjudant lui suggère de se faire fournir une nouvelle mallette de rasage et une autre sacoche, ce qui lui vaut la désobligeance de Saudal. Ce dernier se tourne alors vers trois hommes du rang qui passent par là, dont Chauvet (mon arrière grand père que je fais revivre une seconde et dernière fois dans ce roman). Il leur pose les mêmes questions et obtient les mêmes réponses... Occupés à l'instruction, ils n'ont rien vu et semblent se demander pourquoi il fait toute une histoire de cette disparition qui leur parait anodine. Saudal pète alors les plombs et empoigne par le col l'un des hommes et lui exprime toute la colère et le désespoir que suscite chez lui la perte des ses objets. Sa fureur est à la hauteur de la dépendance qu'il éprouve envers ses icônes. Elle surgit au grand jour devant ces hommes qui restent incrédules. Ils finissent par s'interposer et saisissent Saudal pour qu'il relâche le malheureux sur le point d'être étranglé. 
Patrouille française sur le Vardar en septembre 1916,
photographie tirée du Miroir paru le 1er octobre 1916
(Wikimedia Commons - Le Miroir)

Un capitaine du bataillon vient les séparer et demande des explications. Saudal lui expose la situation et le capitaine tente de l'aider en lui posant quelques questions. Il veut savoir si cette sacoche contenait quelque chose d'important, comme des documents secrets afin de savoir si ce vol était l'oeuvre d'un espion ou d'un vulgaire maraudeur. Sans ménagement, Saudal lui rétorque que ce que contient cette sacoche ne regarde que lui. Il lui concède néanmoins que ce butin intéressera davantage un voleur qu'un espion. La conversation se poursuit et le capitaine lui apprend que plus tôt dans la journée des réfugiés macédoniens sont passés près du camp, suivis ensuite d'un convoi de Romanichels. Saudal y voit immédiatement les coupables de ce larcin. Pour lui, cela ne fait pas l'ombre d'un doute, ce sont ces Roms qui ont fait le coup. Très vite, il fait réquisitionner un camion dans le camp pour se lancer à leur poursuite. Accompagné du capitaine, d'un chauffeur et de deux hommes en armes, ainsi que d'un lieutenant serbe pour lui servir d'interprète, Saudal se retrouve dans le véhicule qui emprunte la piste, rendue boueuse par les pluies d'automne, le long du Vardar, menant vers le sud-est et Salonique.

Au bout de deux heures, ils parviennent à rattraper la cohorte de réfugiés qui a fait halte, en vue de la tombée de la nuit. Ils les dépassent puis continuent leur route avant de finir par rejoindre rapidement le convoi de Tziganes. Le camion dépasse tous les chariots avant de venir se garer en travers de la route afin de leur barrer le passage. Les Français en sortent précipitemment ainsi que l'officer serbe. 

Un homme d'une quarantaine d'années, qui n'est autre que le chef de ce clan, descend du premier chariot  et vient à leur rencontre. Il échange avec l'interprète longuement afin de comprendre ce qu'ils veulent. Le Serbe lui explique le vol et il finit par lui répondre qu'ils ne sont pour rien dans cette disparition d'objets. Saudal ne l'entend bien sûr pas de cette oreille et entreprend de faire fouiller chacune des roulottes du convoi. Le chef tente de s'interposer et proteste mais Saudal donne l'ordre de l'abattre s'il continue à faire des difficultés !

Chacun est surpris par un tel ordre, mais personne n'ose s'y opposer. Les investigations commencent alors dans le convoi, et les uns après les autres, les chariots se retrouvent fouillés sans ménagement. L'entreprise, longue et fastidieuse, s'avère infructueuse. La rage de Saudal ne fait que se décupler et il persiste à les croire coupables. Il sort alors son revolver et le braque sur la tempe d'un jeune garçon qui se trouve à proximité de lui ! 
La vallée du Vardar en aval de Demir Kapija, en mai 2012
(Wikimedia Commons - Prince Roy)

Il s'agit de l'un des fils du chef. Le gamin est terrifié et sa mère crie de panique. Son père, lui, s'inquiète auprès de l'interprète. Il lui demande pitié pour son fils et jure qu'il ne peut pas lui rendre ces objets, qu'ils ne possèdent pas. Le capitaine, appuyé par le lieutenant serbe, tente alors de le raisonner. Petit à petit, Saudal commence à les entendre et le capitaine argumente sur le fait qu'un tel acte déshonorerait l'armée française, entacherait la réputation du régiment et compromettrait sa carrière. Saudal finit par admettre que tout cela n'en vaut pas la peine et rengaine son arme. Il donne l'ordre à ses hommes de rentrer au camp tandis que l'enfant part se réfugier dans les bras de sa mère. Les Tziganes regardent partir le camion avec mépris et incrédulité, et aussi avec beaucoup de soulagement... 

Sur la route du retour, de nuit et sous la pluie, le camion est plongé dans le silence. Saudal se terre dans son dépit tandis que les deux autres officiers, encore stupéfaits par son attitude, n'osent plus lui adresser la parole.

Plus tard, une fois arrivé au cantonnement, le commandant Saudal se rend au mess pour y dîner. Il est tard mais les autres officiers du régiment y sont encore. Saudal reste silencieux durant tout le repas et ne prend la parole qu'à la fin. Il s'est rendu compte de l'absence du commandant Alliot, avec qui il partage sa tente. Il ne l'a plus vu depuis le début de matinée et demande de ses nouvelles. On lui apprend qu'il est tombé malade, pris d'une nouvelle crise de paludisme qui semble très sérieuse. Il a été emmené par les services de santé au dépôt n°2, que l'on surnomme le "dépôt des éclopés n°2" à quelques kilomètres de là, pour y être soigné. Saudal comprend alors qu'il tient là l'explication de la dispersion de son nécessaire à rasage et de sa sacoche. Si celles d'Alliot sont encore dans la tente et plus les siennes, c'est qu'elles ont été confondues par le personnel de santé !

Le lendemain matin, il se rend au dépôt n°2 et vient au chevet du commandant Alliot. Après quoi, il échange la sacoche et la mallette d'Alliot avec les siennes. Il prend alors la peine de vérifier dans sa sacoche et découvre que le coffret aux icônes y est toujours, bien enveloppé dans son chèche...

Il s'était mis dans tous ses états pour rien. Cette méprise anodine des infirmiers lui permet de mesurer à quel point il était devenu addict à ces objets. Il leur appartenait bien plus qu'ils ne lui appartenaient...

A bientôt.

Olivier.